Théâtre National de Bretagne
Direction Arthur Nauzyciel

FOCUS JEAN EUSTACHE

FOCUS JEAN EUSTACHE

Rétrospective

Après le succès de La Maman et la putain, ressortie en salles en juin 2022, durant ce mois de juin, le Cinéma du TNB vous propose de (re)découvrir de nouveaux films de Jean Eustache.

AU PROGRAMME en juin

 

Mes petites amoureuses - 2h03 / 1974

Les Mauvaises Fréquentations (programme de 2 courts métrages)  
– Du côté de Robinson - 42 min / 1964
– Le Père Noël a les yeux bleus - 19min / 1980

Numéro Zéro - 1h40 / 1971

Les courts métrages de Jean Eustache (programme de 3 courts métrages)

– Les Photos d'Alix - 19 min / 1980

– Offre d'emploi - 19 min / 1980

– Le Jardin des délices de Jérôme Bosch - 34 min / 1979

La Rosière de Pessac (programme de 2 courts métrages)

– Version de 1968 - 47 min / Noir & Blanc

– Version de 1979 - 1h08 / couleur

Une Sale histoire (programme de 2 courts métrages)

– Une Sale histoire - 1977 / 28 min

– Une Sale histoire racontée par Jean-Noël Picq - 1977 / 22 min

 

 

Pourquoi l’œuvre de Jean Eustache est-elle le rendez-vous de générations de cinéphiles ? Parce qu’elle est puissante, cohérente, diverse et relativement brève : 13 films dont 2 longs métrages de fiction. En considérant l’œuvre complète, on peut mieux en saisir les motifs récurrents, la façon dont une même idée prend corps différemment selon les projets. Plusieurs motifs viennent à l’esprit : l’art de la parole, la drague comme éducation sentimentale et enfin le cinéma comme affabulation et vérité.

On peut diviser la filmographie d’Eustache en 3 grands groupes : les fictions, les documents, et les dispositifs. Bien sûr, ces catégories sont poreuses.

 

FICTIONS
 

Les 3 principaux films de fictions d’Eustache sont des autofictions : Mes Petites amoureuses retrace la fin de son enfance à Pessac avec sa grand-mère, puis à Narbonne avec sa mère, Le Père Noël à les yeux bleu s’attarde sur une anecdote de son adolescence désargentée à Narbonne et La Maman et la Putain décrit, de manière presque contemporaine, la femme dont il est tombé amoureux alors qu’il vivait avec une autre. Ces 3 films évoquent l’éducation d’Eustache en autodidacte, sa cinéphilie, son désir pour les filles. C’est sans complaisance qu’il tisse dans cette matière intime, ni pour lui, ni pour ses proches.

Ces 3 autofictions sont marquées, par une sorte de préciosité littéraire, l’inverse d’un « parler vrai », un effet accentué par la voix off dans Mes Petites amoureuses et Le Père Noël à les yeux bleu. Eustache écrit tout et ne laisse aucune place à l’improvisation. Il y a toutefois une part documentaire dans l’exigence qu’il a de tourner dans des décors réels : l’allée de platanes appelée « Les Barques », où se promènent les Narbonnais, la kermesse, le Flore, les deux Magots, le Rosebud, le Train bleu, la chambre d’hôpital où vécut la femme qui inspira le personnage de Véronika, l’appartement de la femme qui inspira le personnage de Marie…
Son 1er film, Du côté de Robinson s’inspire d’une histoire qu’un ami lui avait racontée. Il ressemble à un conte moral, proche, dans le ton, le rythme et la structure, des 1ers films de la Nouvelle Vague (on pense à La Carrière de Suzanne, de Rohmer). Là encore, la dimension documentaire apparaît dans les lieux dans la façon dont Paris est filmée : ses bars, ses rues et ses dancings.

Son dernier film, Offre d'emploi se présente au départ comme le fruit d’une enquête : une retranscription fidèle du parcours d’un homme à la recherche d’un emploi. Le film tourne à la farce et se moque des méthodes modernes de jugement et de choix, aussi arbitraires qu’expéditives. Molière des temps modernes, Eustache dénonce la bêtise des procédures de sélection. Si le candidat se présente avec le plus grand sérieux, le choix fait par l’entreprise apparaît a contrario comme une fumisterie.


LES DOCUMENTS

Eustache a réalisé 3 films-documents dans lesquels il saisit un rituel qui se serait déroulé à peu près de la même façon si sa caméra n’avait pas été présente. Le Cochon montre le déroulement d’un rituel traditionnel de la vie à la ferme, en Ardèche : la transformation du cochon en charcuterie. On écorche la bête, on trie les morceaux, on les nettoie, on les cuisine, et le soir venu, on trinque au travail accompli. Cérémonie mi-familiale, mi-collective, puisque les voisins participent. La Rosière de Pessac suit l’élection annuelle de la jeune fille la plus vertueuse de la commune : réunions, vote, annonce, défilé en robe blanche, ban d’honneur, bal. Le maire et le curé de Pessac participent à la cérémonie, la jeune élue rend hommage aux anciennes Rosières. Quand il retourne à Pessac 11 ans après, pour La Rosière de Pessac 1979, la cérémonie a changé. C’est moins la vertu traditionnelle qui est récompensée que le mérite. La jeune fille élue est issue d’une famille de 7 enfants, sans père. Elle vit en périphérie, dans une tour HLM. Le rituel reste mais son sens évolue.
Dans un entretien paru dans les Cahiers du cinéma en 1979, Eustache explique qu’en 1968, quand il avait tourné la première Rosière, il avait regretté qu’il n’existe pas le même film, tourné en 1896, quand cette tradition moyenâgeuse avait été ranimée et instituée. Puis tous les 10 ans (filmée par les frères Lumière, pendant la première guerre mondiale, pendant le Front populaire, sous l’Occupation, etc.). L’idée lui était après sortie de la tête jusqu’à ce qu’elle lui revienne « pour filmer le temps qui passe, l’évolution et la transformation d’une société à l’intérieur d’une certaine permanence. »
 

LES DISPOSITIFS


Eustache a réalisé 4 films selon un même dispositif : placer sa caméra devant un individu qui parle librement d’un sujet circonscrit par Eustache au préalable, en accord avec le narrateur filmé. Ce n’est pas du documentaire, dans la mesure où ce qui se passe devant la caméra n’adviendrait pas si Eustache n’en avait pas organisé la mise en scène, s’il n’avait pas fait la démarche de l’enregistrer. Mais le texte n’est pas écrit au préalable, comme dans les fictions.

Le 1er modèle de ces films-dispositif, est Numéro zéro, suivi d’Une sale histoire. Chaque fois, il s’agit d’un récit qu’Eustache connaît bien et qu’il décide un jour qu’il est important de le filmer. Ensuite vient Le Jardin des délices de Jérome Bosch. Dans ce film, Eustache demande à Jean-Noël Picq de décrire et de commenter le fameux triptyque de Bosch devant un auditoire qui ressemble fort à celui d’Une sale histoire. Enfin, l’avant-dernier film d’Eustache, Les Photos d'Alix, offre au spectateur une expérience troublante. Interrogée par un jeune homme (Boris Eustache), une photographe (Alix Cléo-Roubaud) commente une série de clichés. Elle explique ses intentions, évoque le contexte en montrant les photographies. À environ un tiers du film, on nous parle d’un corps que l’on ne distingue pas vraiment tant la photo est surexposée. Soudain Boris Eustache demande, très sûr de lui : « C’est toi ? » Tandis que la photo ne présente pas de personnage. Au départ on doute : « J’ai dû mal voir, se dit-on, ou mal entendre, ou mal comprendre. » Mais l’impression se répète et le commentaire se décale radicalement. Ici le trucage est comme un attentat à la croyance. C’est une sorte de violence, mais une violence douce et drôle, une farce à nouveau.
Les derniers opus d’Eustache rappellent combien il aimait la comédie. Du cinéma, il ne garde que l’humour, le recul, la distance, comme s’il avait fini par ne plus vouloir le prendre complètement au sérieux.