Théâtre National de Bretagne
Direction Arthur Nauzyciel

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JOURNAL DE CRÉATION "LA RONDE"

PREMIÈRES RÉPÉTITIONS

Publié le 02/11/2022

 

La Ronde est une création d'Arthur Nauzyciel, d'après le texte d'Arthur Schnitzler. Créé au Théâtre National de Prague le 3 novembre 2022, ce spectacle est présenté à Rennes lors du Festival TNB 2022, dans la salle Vilar. La dramaturge Marta Ljubková a suivi la globalité des répétitions.

 

 JOUR 1 

Nous sommes tous là. Arthur Nauzyciel ouvre cette première répétition de manière très personnelle. Il explique que 2 mois loin de chez lui, c'est long, et qu'il n'est pas habitué à ne travailler que 4 heures par jour comme ici à cause du répertoire. En France, il répète 8 à 9 heures par jour pendant 2 mois, dont presque 6 semaines à la table. Il propose alors, pour celles et ceux qui le souhaitent, de poursuivre les répétitions de 2 heures chaque jour et de mettre à profit ce temps pour approfondir ce travail de table.

 

Pour lui, il est primordial pour le processus de création que tous les acteurs soient présents à chaque répétition. Même si le texte se compose de 10 dialogues, ils seront créés de manière conjointe. Les dialogues se font écho, se répondent. Des personnages de statut social différent utilisent pourtant les mêmes mots. Bien qu’évoluant dans des univers différents ils reprennent le même schéma de séduction. Des actions, mots, situations, motifs, se répètent en dehors de toute logique naturaliste, psychologique ou sociale. C'est pourquoi tout ce qui se dit lors des répétitions est essentiel pour chacun. Arthur Nauzyciel considère ces 10 dialogues comme un seul rituel narratif, où tout repose sur le langage. Pas d'accessoires, pas de décors, l'univers de La Ronde est principalement composé de mots.

 

© Petr Neubert

 

 

 JOUR 2 

La quasi-totalité de la répétition est consacrée au 1er dialogue, entre le soldat et la prostituée. Arthur Nauzyciel demande aux acteurs de dire le texte comme si les mots naissaient au moment de leur énonciation. Chaque phrase devient une véritable proposition qui doit provoquer la même réponse de la part du partenaire. Il faut ouvrir dans le texte toutes les sens possibles, et ensuite seulement en découleront les émotions les plus intéressantes, au-delà des clichés et conventions. Car il arrive souvent que les acteurs veuillent jouer des émotions sans savoir sur quelles idées elles reposent.

 

Le langage est le déclencheur de l'émotion, et non l'inverse. L’acteur doit se laisser résonner par ce qu’il énonce. Cela signifie retarder l’interprétation figée d’une situation, comme être triste ou non après le sexe par exemple, dans cette scène. Mais laisser venir en ouvrant le sens, en étant à l’écoute du texte, des chemins qu’il dévoile. C’est se mettre à l’écoute de l’auteur et de l’inconscient de l’auteur. La fin de la répétition est consacrée à la lecture de quelques pages du Décaméron, parce que raconter des histoires d'amour à travers la bouche d'amoureux fuyant la peste résonne pleinement avec La Ronde.

 

 JOUR 3 

La prostituée et le soldat évoluent en extérieur, dans un environnement dangereux, et c'est pour cela que leur dialogue est plus court. Les autres personnages, eux, se rencontrent en intérieur. Leur langage est différent, l’approche de séduction est plus masquée, plus longue. Plus les personnages s’élèvent socialement, plus ils prennent des détours, plus ils mentent, plus ils avancent masqués. Ce qui fait de la femme mariée, une bonne bourgeoise, c’est qu’elle trompe son mari et ment. Ce qui fait un bon bourgeois de son mari, c’est qu’il entretient une grisette. Le langage porte les masques et le mensonge.

 

La prostituée cherche l'amour, le soldat probablement une jouissance momentanée, mais le jeune homme cherche à obtenir un statut social plus élevé auprès de la femme mariée. Selon Schnitzler, c'est par le sexe que l'on gagne un statut social. Chaque acte sexuel est un échange, une transaction, c’est sans sentiment. Ici, personne ne souffre, personne n'essaie de convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit, et aucun des personnages de la pièce ne se justifie par des mots. Chacun des personnages n'existe que dans ce qu'il dit. Ils obéissent aux codes sociaux, à la rigidité de leurs classes et milieux. Ils suivent un script déjà écrit par la société dont ils sont issus. Parfois, ils posent la question : est-ce que tu m’aimes bien ? C’est un monde sans amour, sans spiritualité. Et quand ils arrêtent de parler, ils disparaissent. 

 

© Petr Neubert

 

 JOUR 4 

La pièce se déroule à Vienne. Mais pour Arthur Nauzyciel, le dialogue de la femme de chambre et du jeune homme par exemple est entre Simon et Jindřiška, qui se trouvent au théâtre des Estates à Prague. Ainsi, tout ce qui est dit dans le texte doit être connecté par les acteurs à la réalité du lieu où ils se trouvent, et à la réalité de que qu’ils ont en train de faire. Il y a une connexion complète avec le présent. Ce qui compte, c'est que les acteurs soient sincères dans leur discours. Et précisément parce qu'ils sont acteurs, ils peuvent se permettre de l'être. Parce que par convention le spectateur voit des personnages, personne dans le public ne se doute qu'il s'agit du vrai Simon ou Jindřiška.

 

Les diminutifs apparaissent fréquemment dans le texte et sont toujours liés à un statut social ou un rapport de domination. On le voit bien dans le dialogue entre le mari et la jeune femme qui joue le rôle que le mari lui attribue : une petite idiote. À l'inverse, le jeune homme, dans le dialogue précédent, lui attribue un rôle égal au sien en l'appelant par son prénom : Emma. D’ailleurs, il s’appelle Charles et lit un roman français. La question du nom est aussi très importante. Cela revient tout le temps. La seule relation légale dans la pièce est celle entre la jeune femme et l'époux. Tous les autres rapports (sexuels) ont alors lieu dans des circonstances à la fois dangereuses et excitantes : le risque de grossesse ou de syphilis était élevé en raison de l'absence de contraception, et une grossesse en dehors de l'union conjugale signifiait essentiellement l'anéantissement personnel.

 

© Petr Neubert

 

 JOUR 5 

La comédienne est le seul personnage féminin qui domine dans l'acte de séduction. Elle a clairement la même partition que les rôles masculins. Elle donne au poète des surnoms, refuse son désir ou, au contraire, lui ordonne de l'embrasser. Elle le traite d'idiot, comme le poète traite d’idiote la grisette dans le dialogue précédent. De par son métier, elle pourrait être toutes les autres. Le dernier personnage à apparaître sur scène est le comte. Il arrive avec l'idée que les meilleurs est déjà passé. Le comte est le seul à parler d'amour, d'âme et non de sexe. Il est comme à la fin de sa vie, sans se rendre compte qu’il est peut-être déjà en train de passer d’un monde à l’autre.

 

Toutes les images de la pièce sont étroitement liées aux mots obscurité et lumière. Ceux qui sont dehors ont peur du noir, et ceux qui sont dedans ont peur de la lumière. En fait, dans chaque scène, l'obscurité doit être créée pour que ce qui est tabou, caché, désiré, puisse se produire. Pour que le fantasme puisse s’énoncer. Car dans l'obscurité, on rêve, et quand on rêve, on est libre.

 

– Marta Ljubková, dramaturge

 

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La Ronde est une création d'Arthur Nauzyciel, d'après le texte d'Arthur Schnitzler. Créé au Théâtre National de Prague le 3 novembre 2022, ce spectacle est présenté à Rennes lors du Festival TNB 2022, dans la salle Vilar. La dramaturge Marta Ljubková a suivi la globalité des répétitions.

 

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PREMIÈRES RÉPÉTITIONS

Publié le 02/11/2022

 

La Ronde est une création d'Arthur Nauzyciel, d'après le texte d'Arthur Schnitzler. Créé au Théâtre National de Prague le 3 novembre 2022, ce spectacle est présenté à Rennes lors du Festival TNB 2022, dans la salle Vilar. La dramaturge Marta Ljubková a suivi la globalité des répétitions.

 

 JOUR 1 

Nous sommes tous là. Arthur Nauzyciel ouvre cette première répétition de manière très personnelle. Il explique que 2 mois loin de chez lui, c'est long, et qu'il n'est pas habitué à ne travailler que 4 heures par jour comme ici à cause du répertoire. En France, il répète 8 à 9 heures par jour pendant 2 mois, dont presque 6 semaines à la table. Il propose alors, pour celles et ceux qui le souhaitent, de poursuivre les répétitions de 2 heures chaque jour et de mettre à profit ce temps pour approfondir ce travail de table.

 

Pour lui, il est primordial pour le processus de création que tous les acteurs soient présents à chaque répétition. Même si le texte se compose de 10 dialogues, ils seront créés de manière conjointe. Les dialogues se font écho, se répondent. Des personnages de statut social différent utilisent pourtant les mêmes mots. Bien qu’évoluant dans des univers différents ils reprennent le même schéma de séduction. Des actions, mots, situations, motifs, se répètent en dehors de toute logique naturaliste, psychologique ou sociale. C'est pourquoi tout ce qui se dit lors des répétitions est essentiel pour chacun. Arthur Nauzyciel considère ces 10 dialogues comme un seul rituel narratif, où tout repose sur le langage. Pas d'accessoires, pas de décors, l'univers de La Ronde est principalement composé de mots.

 

© Petr Neubert

 

 

 JOUR 2 

La quasi-totalité de la répétition est consacrée au 1er dialogue, entre le soldat et la prostituée. Arthur Nauzyciel demande aux acteurs de dire le texte comme si les mots naissaient au moment de leur énonciation. Chaque phrase devient une véritable proposition qui doit provoquer la même réponse de la part du partenaire. Il faut ouvrir dans le texte toutes les sens possibles, et ensuite seulement en découleront les émotions les plus intéressantes, au-delà des clichés et conventions. Car il arrive souvent que les acteurs veuillent jouer des émotions sans savoir sur quelles idées elles reposent.

 

Le langage est le déclencheur de l'émotion, et non l'inverse. L’acteur doit se laisser résonner par ce qu’il énonce. Cela signifie retarder l’interprétation figée d’une situation, comme être triste ou non après le sexe par exemple, dans cette scène. Mais laisser venir en ouvrant le sens, en étant à l’écoute du texte, des chemins qu’il dévoile. C’est se mettre à l’écoute de l’auteur et de l’inconscient de l’auteur. La fin de la répétition est consacrée à la lecture de quelques pages du Décaméron, parce que raconter des histoires d'amour à travers la bouche d'amoureux fuyant la peste résonne pleinement avec La Ronde.

 

 JOUR 3 

La prostituée et le soldat évoluent en extérieur, dans un environnement dangereux, et c'est pour cela que leur dialogue est plus court. Les autres personnages, eux, se rencontrent en intérieur. Leur langage est différent, l’approche de séduction est plus masquée, plus longue. Plus les personnages s’élèvent socialement, plus ils prennent des détours, plus ils mentent, plus ils avancent masqués. Ce qui fait de la femme mariée, une bonne bourgeoise, c’est qu’elle trompe son mari et ment. Ce qui fait un bon bourgeois de son mari, c’est qu’il entretient une grisette. Le langage porte les masques et le mensonge.

 

La prostituée cherche l'amour, le soldat probablement une jouissance momentanée, mais le jeune homme cherche à obtenir un statut social plus élevé auprès de la femme mariée. Selon Schnitzler, c'est par le sexe que l'on gagne un statut social. Chaque acte sexuel est un échange, une transaction, c’est sans sentiment. Ici, personne ne souffre, personne n'essaie de convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit, et aucun des personnages de la pièce ne se justifie par des mots. Chacun des personnages n'existe que dans ce qu'il dit. Ils obéissent aux codes sociaux, à la rigidité de leurs classes et milieux. Ils suivent un script déjà écrit par la société dont ils sont issus. Parfois, ils posent la question : est-ce que tu m’aimes bien ? C’est un monde sans amour, sans spiritualité. Et quand ils arrêtent de parler, ils disparaissent. 

 

© Petr Neubert

 

 JOUR 4 

La pièce se déroule à Vienne. Mais pour Arthur Nauzyciel, le dialogue de la femme de chambre et du jeune homme par exemple est entre Simon et Jindřiška, qui se trouvent au théâtre des Estates à Prague. Ainsi, tout ce qui est dit dans le texte doit être connecté par les acteurs à la réalité du lieu où ils se trouvent, et à la réalité de que qu’ils ont en train de faire. Il y a une connexion complète avec le présent. Ce qui compte, c'est que les acteurs soient sincères dans leur discours. Et précisément parce qu'ils sont acteurs, ils peuvent se permettre de l'être. Parce que par convention le spectateur voit des personnages, personne dans le public ne se doute qu'il s'agit du vrai Simon ou Jindřiška.

 

Les diminutifs apparaissent fréquemment dans le texte et sont toujours liés à un statut social ou un rapport de domination. On le voit bien dans le dialogue entre le mari et la jeune femme qui joue le rôle que le mari lui attribue : une petite idiote. À l'inverse, le jeune homme, dans le dialogue précédent, lui attribue un rôle égal au sien en l'appelant par son prénom : Emma. D’ailleurs, il s’appelle Charles et lit un roman français. La question du nom est aussi très importante. Cela revient tout le temps. La seule relation légale dans la pièce est celle entre la jeune femme et l'époux. Tous les autres rapports (sexuels) ont alors lieu dans des circonstances à la fois dangereuses et excitantes : le risque de grossesse ou de syphilis était élevé en raison de l'absence de contraception, et une grossesse en dehors de l'union conjugale signifiait essentiellement l'anéantissement personnel.

 

© Petr Neubert

 

 JOUR 5 

La comédienne est le seul personnage féminin qui domine dans l'acte de séduction. Elle a clairement la même partition que les rôles masculins. Elle donne au poète des surnoms, refuse son désir ou, au contraire, lui ordonne de l'embrasser. Elle le traite d'idiot, comme le poète traite d’idiote la grisette dans le dialogue précédent. De par son métier, elle pourrait être toutes les autres. Le dernier personnage à apparaître sur scène est le comte. Il arrive avec l'idée que les meilleurs est déjà passé. Le comte est le seul à parler d'amour, d'âme et non de sexe. Il est comme à la fin de sa vie, sans se rendre compte qu’il est peut-être déjà en train de passer d’un monde à l’autre.

 

Toutes les images de la pièce sont étroitement liées aux mots obscurité et lumière. Ceux qui sont dehors ont peur du noir, et ceux qui sont dedans ont peur de la lumière. En fait, dans chaque scène, l'obscurité doit être créée pour que ce qui est tabou, caché, désiré, puisse se produire. Pour que le fantasme puisse s’énoncer. Car dans l'obscurité, on rêve, et quand on rêve, on est libre.

 

– Marta Ljubková, dramaturge

 

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