Théâtre National de Bretagne
Direction Arthur Nauzyciel

Le Magazine du TNB Image retour sur la une

ÉTUDIANT·E NOMADE

PAOLO EN ALLEMAGNE

Publié le 05/04/2024

 

En séjour d’étude ou en stage, la mobilité internationale des élèves fait partie intégrante de leur cursus de formation. 

À l’image du projet artistique du TNB, l’École du TNB développe un projet pédagogique résolument ouvert sur l’international : invitations d’artistes-pédagogues étrangers, échanges internationaux à l’occasion de workshops… mais aussi séjours individuels à l’étranger en 3e année de formation. 

 

Cette semaine, suivez Paolo à Stuttgart, à la Staadliche Hochschule für Musik und Darstellende Kunst.

 

| Peux-tu nous présenter la structure dans laquelle tu es et ce que tu y fais ?

 

Je suis avec les élèves en 3e année du cursus marionnette de la Staadliche Hochschule für Musik und Darstellende Kunst de Stuttgart. Il s’agit d’une des 2 écoles publiques de marionnettes allemandes, et la seule qui enseigne à la fois (et entre autres choses) le jeu, la manipulation et la fabrication. On se consacre principalement à la création d’un spectacle de Material Theatre dans lequel je jouerai avec les autres élèves de la promo en avril au Wilhelma Theatre de Stuttgart, mis en scène par Renaud Herbin, Rafi Martin et Arnaud Louski Pan. Le reste du temps, j’ai pu assister à quelques cours d’animation, et je profite autant que je peux de l’atelier de fabrication.

 

| Pourquoi avoir choisi cette destination ?

 

Je n’ai pas choisi une destination mais une discipline : la marionnette. Au moins j’étais sûr de vouloir découvrir ce continent-là.

Je voulais être avec des gens de mon âge avec qui on allait pouvoir imaginer du théâtre ensemble.

Je voulais être en école, qu’on m’enseigne des techniques, un artisanat d’art.

Je voulais être sur scène, agir, être, et pas seulement observer.

Au milieu de toutes ces volontés le lieu importait peu, je voulais juste une bulle pour explorer un autre théâtre et enrichir ma formation...

 

Et j’ai découvert que le lieu importe. Je me suis retrouvé à Stuttgart comme n’importe où ailleurs et finalement non, ici c’est quelque part, la bulle d’art est aussi poreuse au familier - trop familier - et je m’y suis retrouvé Fernweh – atteint de cet intraduisible mal du lointain. Alors dès que j’ai eu du temps j’ai pris des trains en tous sens pour fuir Stuttgart et ce sentiment ; avec la Fugue donc comme thème de voyage.

Moi qui pensais que le voyage se fabriquait à l’intérieur, à qui on parlait de voir le monde et qui se tournant vers la scène disait (c’est pas de moi) : voilà mon monde !... ce voyage m’aura donné – maisunpeutard – l’envie de voyager.

 

| Ton expérience change-t-elle ton point de vue sur l'écosystème culturel français ?

 

Je suis si proche de la frontière qu’on ne peut pas dire que j’ai changé d’air, ici aussi je fais du théâtre d’art subventionné, ici aussi j’en profite pour réfléchir... par exemple à une certaine approche de l’art qui s’intéresse plus à la personnalité des artistes qu’à un savoir-faire ou une culture partagée, attendant des élèves qu’ils soient avant tout polyvalents et novateurs ; et j’y vois un parallèle troublant avec la façon dont le néo libéralisme demande aux travailleurs de ne pas avoir de métier mais plutôt un savoir être en entreprise, centré sur la flexibilité et l’esprit disruptif. Et puis je trouve cette réflexion ridicule et me demande pourquoi s’acharner à penser et repenser quand un simple décalage de point de vue permet parfois de saisir la chose qui ne cessait de s’embrouiller, ou fait perdre toute importance à la question, à l’épreuve du faire ? … Ce voyage m’aura donné – maisunpeutard – la nécessité de voyager.

 

| Qu'est-ce que cette expérience t'apporte en tant qu'artiste ?

 

Elle concrétise des intuitions : un rapport d’enfance avec le monde des objets, une sensibilité non-anthropocentrée, une poétique de la matière, une délicatesse de la manipulation, une fascination pour le corps-marionnette (issu notamment du rapport à l’étrangeté de mon propre corps), et puis l’éternel retour aux thématiques de la métamorphose, de la porosité, de l’organicité – corps naissant, digérant, débordant, greffé, amputé, imbriqué, déformé, sublime et pourrissant – la continuité matérielle des vivants entre eux et avec le non vivant, un besoin anticonsumériste de retrouver un rapport sensible aux objets, presque un désir d’animisme, à la fois de magie et de science, de rapport charnel au réel… Je retrouve toutes ces obsessions ici, non seulement explorées dans un théâtre qui met au centre les rapports entre le corps et la matière/objet, mais aussi partagées par des gens qui semblent venus à la marionnette par des obsessions semblables.

 

Je confirme, donc, théoriquement.

 

Pour ce qui est d’acquérir un peu de savoir-faire, ce qui était mon désir initial, le spectacle dans lequel je joue est certes différent de ce que j’ai pu approfondir au TNB mais n’a finalement plus grand-chose à voir avec la marionnette ; alors j’essaye des choses de mon côté, seul. Parfois je vis le retour en enfance d’un garçon d’intérieur, voyant de loin mes grand·es sœurs et frères du TNB défricher et déchiffrer le vaste monde, et parfois j’ai l’impression d’être un vieillard patient qui fabrique des jouets dans un atelier, des heures durant, attendant le retour à la maison de ses grands enfants. Le temps passe dans cet atelier avec bien plus de douceur qu’ailleurs, je crois avoir trouvé une chose que je peux faire quand je ne joue pas sans dépérir : bricoler. Mais la solitude me rappelle à quel point le groupe est pour moi fondamental, et mon besoin en tant qu’artiste de faire partie d’un collectif pour éprouver la nécessité de créer… ce voyage m’aura aussi rappelé à l’esprit de troupe.

 

| Un moment marquant depuis ton arrivée ?

 

Avant que je parte occuper 3 mois une ville dite sans âme, Laurent Poitrenaux m’a rassuré sur 2 choses : qu’au moins je travaillerai sans distraction, et que j’y découvrirai forcément une culture underground. Bien vu.

Il y a eu du travail, des heures passées dans l’atelier désert. Et pour l’underground, je me suis retrouvé lié, par des rencontres, à une marge : une gare désaffectée – typiquement allemand : des villes froides enlaidies par la guerre et l’industrie dans lesquelles on a bricolé avec ce qu’on a trouvé des cabanes cachées dans les fissures pour réchauffer le rugueux tissu urbain – dont un collectif hétéroclite a investi les trains, pour en faire un village où chaque wagon est un abri, un petit foyer, un atelier, ou un refuge de doux ravers. La première fois que je suis allé passer une soirée dans un de ces wagons j’ai compris que j’étais chez moi.

Chez moi ce sont 2 lieux : il y a la scène-salle, et le train – l’ici-ouvert et l’ailleurs-indéfini.

 

Dans ce voyage tout s’est passé entre le départ et l’arrivée, tout se passe dans un transperceneige norvégien, ou dans un wagon de nuit bondé entre l’Autriche et l’Italie, ou à boire en attendant Berlin, ou à s’enfoncer plus loin dans l’Est et dans la brume, ou jusqu’à la mer des antipodes. Tout se passe avant d’arriver au château de Solitude ou en repartant de l’atelier isolé d’un vieux maître allemand de la marionnette à fil. Tout s’est fait en train. Je ne suis pas arrivé, je suis en train. Attendez-moi !

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En séjour d’étude ou en stage, la mobilité internationale des élèves fait partie intégrante de leur cursus de formation. 

ÉTUDIANT·E NOMADE

PAOLO EN ALLEMAGNE

Publié le 05/04/2024

 

En séjour d’étude ou en stage, la mobilité internationale des élèves fait partie intégrante de leur cursus de formation. 

À l’image du projet artistique du TNB, l’École du TNB développe un projet pédagogique résolument ouvert sur l’international : invitations d’artistes-pédagogues étrangers, échanges internationaux à l’occasion de workshops… mais aussi séjours individuels à l’étranger en 3e année de formation. 

 

Cette semaine, suivez Paolo à Stuttgart, à la Staadliche Hochschule für Musik und Darstellende Kunst.

 

| Peux-tu nous présenter la structure dans laquelle tu es et ce que tu y fais ?

 

Je suis avec les élèves en 3e année du cursus marionnette de la Staadliche Hochschule für Musik und Darstellende Kunst de Stuttgart. Il s’agit d’une des 2 écoles publiques de marionnettes allemandes, et la seule qui enseigne à la fois (et entre autres choses) le jeu, la manipulation et la fabrication. On se consacre principalement à la création d’un spectacle de Material Theatre dans lequel je jouerai avec les autres élèves de la promo en avril au Wilhelma Theatre de Stuttgart, mis en scène par Renaud Herbin, Rafi Martin et Arnaud Louski Pan. Le reste du temps, j’ai pu assister à quelques cours d’animation, et je profite autant que je peux de l’atelier de fabrication.

 

| Pourquoi avoir choisi cette destination ?

 

Je n’ai pas choisi une destination mais une discipline : la marionnette. Au moins j’étais sûr de vouloir découvrir ce continent-là.

Je voulais être avec des gens de mon âge avec qui on allait pouvoir imaginer du théâtre ensemble.

Je voulais être en école, qu’on m’enseigne des techniques, un artisanat d’art.

Je voulais être sur scène, agir, être, et pas seulement observer.

Au milieu de toutes ces volontés le lieu importait peu, je voulais juste une bulle pour explorer un autre théâtre et enrichir ma formation...

 

Et j’ai découvert que le lieu importe. Je me suis retrouvé à Stuttgart comme n’importe où ailleurs et finalement non, ici c’est quelque part, la bulle d’art est aussi poreuse au familier - trop familier - et je m’y suis retrouvé Fernweh – atteint de cet intraduisible mal du lointain. Alors dès que j’ai eu du temps j’ai pris des trains en tous sens pour fuir Stuttgart et ce sentiment ; avec la Fugue donc comme thème de voyage.

Moi qui pensais que le voyage se fabriquait à l’intérieur, à qui on parlait de voir le monde et qui se tournant vers la scène disait (c’est pas de moi) : voilà mon monde !... ce voyage m’aura donné – maisunpeutard – l’envie de voyager.

 

| Ton expérience change-t-elle ton point de vue sur l'écosystème culturel français ?

 

Je suis si proche de la frontière qu’on ne peut pas dire que j’ai changé d’air, ici aussi je fais du théâtre d’art subventionné, ici aussi j’en profite pour réfléchir... par exemple à une certaine approche de l’art qui s’intéresse plus à la personnalité des artistes qu’à un savoir-faire ou une culture partagée, attendant des élèves qu’ils soient avant tout polyvalents et novateurs ; et j’y vois un parallèle troublant avec la façon dont le néo libéralisme demande aux travailleurs de ne pas avoir de métier mais plutôt un savoir être en entreprise, centré sur la flexibilité et l’esprit disruptif. Et puis je trouve cette réflexion ridicule et me demande pourquoi s’acharner à penser et repenser quand un simple décalage de point de vue permet parfois de saisir la chose qui ne cessait de s’embrouiller, ou fait perdre toute importance à la question, à l’épreuve du faire ? … Ce voyage m’aura donné – maisunpeutard – la nécessité de voyager.

 

| Qu'est-ce que cette expérience t'apporte en tant qu'artiste ?

 

Elle concrétise des intuitions : un rapport d’enfance avec le monde des objets, une sensibilité non-anthropocentrée, une poétique de la matière, une délicatesse de la manipulation, une fascination pour le corps-marionnette (issu notamment du rapport à l’étrangeté de mon propre corps), et puis l’éternel retour aux thématiques de la métamorphose, de la porosité, de l’organicité – corps naissant, digérant, débordant, greffé, amputé, imbriqué, déformé, sublime et pourrissant – la continuité matérielle des vivants entre eux et avec le non vivant, un besoin anticonsumériste de retrouver un rapport sensible aux objets, presque un désir d’animisme, à la fois de magie et de science, de rapport charnel au réel… Je retrouve toutes ces obsessions ici, non seulement explorées dans un théâtre qui met au centre les rapports entre le corps et la matière/objet, mais aussi partagées par des gens qui semblent venus à la marionnette par des obsessions semblables.

 

Je confirme, donc, théoriquement.

 

Pour ce qui est d’acquérir un peu de savoir-faire, ce qui était mon désir initial, le spectacle dans lequel je joue est certes différent de ce que j’ai pu approfondir au TNB mais n’a finalement plus grand-chose à voir avec la marionnette ; alors j’essaye des choses de mon côté, seul. Parfois je vis le retour en enfance d’un garçon d’intérieur, voyant de loin mes grand·es sœurs et frères du TNB défricher et déchiffrer le vaste monde, et parfois j’ai l’impression d’être un vieillard patient qui fabrique des jouets dans un atelier, des heures durant, attendant le retour à la maison de ses grands enfants. Le temps passe dans cet atelier avec bien plus de douceur qu’ailleurs, je crois avoir trouvé une chose que je peux faire quand je ne joue pas sans dépérir : bricoler. Mais la solitude me rappelle à quel point le groupe est pour moi fondamental, et mon besoin en tant qu’artiste de faire partie d’un collectif pour éprouver la nécessité de créer… ce voyage m’aura aussi rappelé à l’esprit de troupe.

 

| Un moment marquant depuis ton arrivée ?

 

Avant que je parte occuper 3 mois une ville dite sans âme, Laurent Poitrenaux m’a rassuré sur 2 choses : qu’au moins je travaillerai sans distraction, et que j’y découvrirai forcément une culture underground. Bien vu.

Il y a eu du travail, des heures passées dans l’atelier désert. Et pour l’underground, je me suis retrouvé lié, par des rencontres, à une marge : une gare désaffectée – typiquement allemand : des villes froides enlaidies par la guerre et l’industrie dans lesquelles on a bricolé avec ce qu’on a trouvé des cabanes cachées dans les fissures pour réchauffer le rugueux tissu urbain – dont un collectif hétéroclite a investi les trains, pour en faire un village où chaque wagon est un abri, un petit foyer, un atelier, ou un refuge de doux ravers. La première fois que je suis allé passer une soirée dans un de ces wagons j’ai compris que j’étais chez moi.

Chez moi ce sont 2 lieux : il y a la scène-salle, et le train – l’ici-ouvert et l’ailleurs-indéfini.

 

Dans ce voyage tout s’est passé entre le départ et l’arrivée, tout se passe dans un transperceneige norvégien, ou dans un wagon de nuit bondé entre l’Autriche et l’Italie, ou à boire en attendant Berlin, ou à s’enfoncer plus loin dans l’Est et dans la brume, ou jusqu’à la mer des antipodes. Tout se passe avant d’arriver au château de Solitude ou en repartant de l’atelier isolé d’un vieux maître allemand de la marionnette à fil. Tout s’est fait en train. Je ne suis pas arrivé, je suis en train. Attendez-moi !

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