Théâtre National de Bretagne
Direction Arthur Nauzyciel

Le Magazine du TNB Image retour sur la une

À PROPOS DE « ART.13 »

ENTRETIEN AVEC PHIA MÉNARD

Publié le 31/05/2023

 

ART.13, conte philosophique et fantastique de Phia Ménard, est présenté du 13 au 16 mars 2024 au TNB. Une création faussement bucolique...

Comment est née l’idée de cette pièce dont le titre fait référence à la Déclaration universelle des droits de l’homme, et particulièrement au passage consacré à la liberté de circulation ?


D’abord, de ma rencontre avec Marion Blondeau qui a rejoint la compagnie en 2018 pour Saison Sèche, création autour des violences faites aux femmes. Elle s’est formée et a travaillé à Besançon, Dakar, en Tunisie. Son parcours singulier, son expérience de la frontière, ont nourri cette création. Ensuite, de ma rencontre avec de jeunes migrants isolés. La création est portée par leurs récits : la nécessité d’un voyage incertain vers un avenir, un quotidien rêvé de dignité, d’égalité loin de la survie. Je me sens très blanche, privilégiée et coupable en disant cela. Je ne suis pas devant des barbelés à chercher un passage, ni à monter sur un radeau pour franchir une mer. Je ne peux donc pas témoigner à la place de celles et ceux qui tentent de fuir, de traverser et qui n’abandonnent pas devant un refus, une blessure ou devant un mur. Je crois au récit des victimes et je les écoute parler des frontières physiques et abjectes du mieux possible.


« Cet article reconnaît l’humanité comme vivante sur une sphère, une planète appelée Terre, dont la seule frontière certaine est celle de l’espace infini ! »


Cette création s’enracine aussi dans la performance que j’ai faite au Théâtre National de Chaillot le 10 décembre lors de La Veillée de l’Humanité, soirée célébrant les 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le lendemain, je prenais la parole à la tribune de l’Unesco pour parler de mon point de vue d’artiste sur le sujet. Au cours de mes recherches, j’ai particulièrement été touchée par l’article 13 de cette déclaration : « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » Cet article reconnaît l’humanité comme vivante sur une sphère, une planète appelée Terre, dont la seule frontière certaine est celle de l’espace infini ! En creux, il rappelle que la frontière est un arrêt défini plus ou moins aléatoirement, pour des raisons contestables ou obscures. Qu’elle est un obstacle géopolitique à notre curiosité, à notre désir d’aller voir au-delà de l’horizon connu.
 

© Christophe Raynaud de Lage


« Mon parcours de femme m’a appris qu’il valait mieux déconstruire que mourir. »

 

Comment traduisez-vous cela dans ART.13, dont le personnage principal serait ce jardin à la française au centre duquel trône une statue sur son socle ?


Ici, je questionne nos façons de penser l’humanité à partir de la dissociation aristotélicienne entre les concepts de « nature » et de « culture ». Les frontières de la nature ne sont pas subordonnées aux limites des idées et des abstractions. Le jardin à la française nous est tellement familier que nous oublions qu’il est le résultat d’une longue négociation avec la nature afin de la maîtriser ; la marque d’une victoire de l’Homme sur la nature alors que nous n’en sommes que les fossoyeurs. Dans la pièce, ce jardin rigoureusement tracé se métamorphose. La nature reprend ses droits, sort des limites qu’elle ne peut pas respecter puisqu’elle ne réagit pas aux concepts mais à sa propre chimie. Dans la bataille qui se produit sur scène, le jardin se révolte contre sa condition de jardin à la française et reprend sa liberté jusqu’à ce qu’il se fasse dominer à nouveau par le socle. Le socle est un sujet que je traite depuis plusieurs années maintenant mais cette pièce le percute littéralement et métaphoriquement. Militante pour les droits humains, j’ai longtemps cru que la révolution était l’acte qu’il fallait produire. Qu’il fallait déboulonner les statues pour tuer ce qu’elles représentent. Mon parcours de femme m’a appris qu’il valait mieux déconstruire que mourir. D’ailleurs, les idées ne meurent pas, elles nous dominent. Une fois déboulonnée, nous finissons toujours par remettre une statue sur ce socle au milieu d’un jardin. C’est donc la preuve qu’il faut bien commencer par s’occuper du socle si l’on veut en finir avec la statuaire triomphante ! Contrairement au jardin et ses envies de liberté, le socle exprime ici notre résistance à vouloir déconstruire. La statue de la pièce est aussi particulière. Elle évoque cette vénération de nos sociétés occidentales pour le corps. Elle est une sorte de célébration de notre maîtrise contemporaine et libérale du corps qui le sculpte et le commercialise.
 

– Propos recueillis par Francis Cossu, avril 2023

 

 

 

Le Magazine du TNB

 

ART.13, conte philosophique et fantastique de Phia Ménard, est présenté du 13 au 16 mars 2024 au TNB. Une création faussement bucolique...

À PROPOS DE « ART.13 »

ENTRETIEN AVEC PHIA MÉNARD

Publié le 31/05/2023

 

ART.13, conte philosophique et fantastique de Phia Ménard, est présenté du 13 au 16 mars 2024 au TNB. Une création faussement bucolique...

Comment est née l’idée de cette pièce dont le titre fait référence à la Déclaration universelle des droits de l’homme, et particulièrement au passage consacré à la liberté de circulation ?


D’abord, de ma rencontre avec Marion Blondeau qui a rejoint la compagnie en 2018 pour Saison Sèche, création autour des violences faites aux femmes. Elle s’est formée et a travaillé à Besançon, Dakar, en Tunisie. Son parcours singulier, son expérience de la frontière, ont nourri cette création. Ensuite, de ma rencontre avec de jeunes migrants isolés. La création est portée par leurs récits : la nécessité d’un voyage incertain vers un avenir, un quotidien rêvé de dignité, d’égalité loin de la survie. Je me sens très blanche, privilégiée et coupable en disant cela. Je ne suis pas devant des barbelés à chercher un passage, ni à monter sur un radeau pour franchir une mer. Je ne peux donc pas témoigner à la place de celles et ceux qui tentent de fuir, de traverser et qui n’abandonnent pas devant un refus, une blessure ou devant un mur. Je crois au récit des victimes et je les écoute parler des frontières physiques et abjectes du mieux possible.


« Cet article reconnaît l’humanité comme vivante sur une sphère, une planète appelée Terre, dont la seule frontière certaine est celle de l’espace infini ! »


Cette création s’enracine aussi dans la performance que j’ai faite au Théâtre National de Chaillot le 10 décembre lors de La Veillée de l’Humanité, soirée célébrant les 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le lendemain, je prenais la parole à la tribune de l’Unesco pour parler de mon point de vue d’artiste sur le sujet. Au cours de mes recherches, j’ai particulièrement été touchée par l’article 13 de cette déclaration : « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » Cet article reconnaît l’humanité comme vivante sur une sphère, une planète appelée Terre, dont la seule frontière certaine est celle de l’espace infini ! En creux, il rappelle que la frontière est un arrêt défini plus ou moins aléatoirement, pour des raisons contestables ou obscures. Qu’elle est un obstacle géopolitique à notre curiosité, à notre désir d’aller voir au-delà de l’horizon connu.
 

© Christophe Raynaud de Lage


« Mon parcours de femme m’a appris qu’il valait mieux déconstruire que mourir. »

 

Comment traduisez-vous cela dans ART.13, dont le personnage principal serait ce jardin à la française au centre duquel trône une statue sur son socle ?


Ici, je questionne nos façons de penser l’humanité à partir de la dissociation aristotélicienne entre les concepts de « nature » et de « culture ». Les frontières de la nature ne sont pas subordonnées aux limites des idées et des abstractions. Le jardin à la française nous est tellement familier que nous oublions qu’il est le résultat d’une longue négociation avec la nature afin de la maîtriser ; la marque d’une victoire de l’Homme sur la nature alors que nous n’en sommes que les fossoyeurs. Dans la pièce, ce jardin rigoureusement tracé se métamorphose. La nature reprend ses droits, sort des limites qu’elle ne peut pas respecter puisqu’elle ne réagit pas aux concepts mais à sa propre chimie. Dans la bataille qui se produit sur scène, le jardin se révolte contre sa condition de jardin à la française et reprend sa liberté jusqu’à ce qu’il se fasse dominer à nouveau par le socle. Le socle est un sujet que je traite depuis plusieurs années maintenant mais cette pièce le percute littéralement et métaphoriquement. Militante pour les droits humains, j’ai longtemps cru que la révolution était l’acte qu’il fallait produire. Qu’il fallait déboulonner les statues pour tuer ce qu’elles représentent. Mon parcours de femme m’a appris qu’il valait mieux déconstruire que mourir. D’ailleurs, les idées ne meurent pas, elles nous dominent. Une fois déboulonnée, nous finissons toujours par remettre une statue sur ce socle au milieu d’un jardin. C’est donc la preuve qu’il faut bien commencer par s’occuper du socle si l’on veut en finir avec la statuaire triomphante ! Contrairement au jardin et ses envies de liberté, le socle exprime ici notre résistance à vouloir déconstruire. La statue de la pièce est aussi particulière. Elle évoque cette vénération de nos sociétés occidentales pour le corps. Elle est une sorte de célébration de notre maîtrise contemporaine et libérale du corps qui le sculpte et le commercialise.
 

– Propos recueillis par Francis Cossu, avril 2023

 

 

 

EN ÉCHO

artiste associée

COMPAGNIE NON NOVA – PHIA MÉNARD

ART.13

La chorégraphe y convoque la figure d'Aylan Kurdi, un garçon syrien d'origine kurde, réfugié de la guerre civile syrienne, retrouvé mort sur une plage...
Lire la suite

MASTERCLASS AVEC PHIA MÉNARD

En écho aux représentations de son spectacle ART.13 (présenté du 13 au 16 mars 2024 au TNB), Phia Ménard dirige une masterclass, en partenariat avec l...
Lire la suite