Théâtre National de Bretagne
Direction Arthur Nauzyciel

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À PROPOS DE "LA TOUR DE CONSTANCE"

ENTRETIEN AVEC GUILLAUME VINCENT

Publié le 04/01/2023

 

La Tour de Constance est une création de Guillaume Vincent, artiste associé au TNB, pour le projet Une saison à l'École, monté avec la promotion 11. Ce spectacle est à découvrir au TNB de janvier à juin 2023.

Tu as écrit un texte pour cette Saison à l’École de la promotion 11 de l'École du TNB, est-ce qu’il y a une différence par rapport aux travaux que tu as déjà pu mener avec d’autres élèves d’école ?

« Vous allez vivre 6 mois avec ce spectacle »

Il y a 2 ans j’ai écrit Vertige dans le cadre d’un stage à l’École du Nord de Lille mais c’était très différent, l’écriture de Vertige n’a pas été préméditée, ça s’est fait suite à un confinement forcé et puis sur un temps très court, c’était spontané et presqu’inattendu. L’idée de La Tour de Constance est venue tout de suite après ma 1re rencontre avec vous, en novembre 2021. Quelques notes que j’ai prises, des idées, des bouts de scènes que j’ai commencé à rédiger dans le train du retour, dès le lendemain. Quand je travaille avec des élèves, j’aime bien travailler sur des impros, autour d’un sujet, sur un auteur. Mais c’est la 1re fois que je m’engage dans l’écriture d’un texte. C’est une responsabilité énorme parce que vous allez vivre 6 mois avec ce spectacle. C’est une expérience unique. Ce n’est pas rien 6 mois dans le temps d’un apprentissage.

 

Est-ce que tu abordes le travail différemment dans le cadre d’un projet au sein d’une école par rapport aux spectacles que tu mets en scène avec des comédiens professionnels ?

 

Non c’est quasiment pareil. Je suis soucieux de la place de chacun. La différence, c’est que je le fais en essayant de transmettre quelque chose… Disons que « mes cours » sont aussi très théoriques, j’adore parler des acteurs, ceux que j’ai pu côtoyer mais aussi ceux que j’aime (et ceux que je n’aime pas !). 

Essayer de nommer les qualités d’un acteur, mais ce n’est pas forcément de bien jouer… être à l’heure, rêver, nourrir le travail sans arrêt, le remettre en question, être exigeant sur son parcours, ne pas laisser de côté les détails.

 

Au début du travail la notion de confusion était un élément central du projet (confusion entre acteurs et personnages, entre réalité et fiction), cette idée était même déjà présente pendant notre 1er stage avec toi où la phrase « Ils font semblant de faire semblant », qui vient de la pièce de Marivaux Les Acteurs de bonne foi, avait été mentionnée à plusieurs reprises.

Finalement cette notion a été un peu écartée, que reste-t-il de cette idée de « confusion » aujourd’hui dans le spectacle selon toi ?

« J’ai écrit à partir de vous mais sans savoir grand-chose de vous, simplement en vous observant sur le plateau »

Cette histoire de confusion était centrale, c’était même le point de départ et le titre du projet… Nous nous sommes vus fin juin et puis fin septembre et en travaillant avec vous, j’ai revu ma copie. Ça m’a soulagé finalement d’amputer le projet de ce que je pensais être son essence. Cette idée était trop proche de ce que j’ai pu faire avant, notamment dans Vertige. Alors me contraindre à écrire une fiction où le théâtre n’est pas au centre, c’était une manière de me déplacer. C’est la 1re fois que j’écris une fiction sans dimension méta-théâtrale. J’ai écrit à partir de vous mais sans savoir grand-chose de vous, simplement en vous observant sur le plateau et un peu (un tout petit peu) en vous observant au dehors, je n’ai pas lu vos dossiers du concours par exemple. La confusion peut s’exprimer au travers par exemple de certains noms des personnages qui sont empruntés aux acteurs, ou alors sont proches phonétiquement ou sociologiquement des prénoms des acteurs. 

 

Aussi j’ai l’impression qu’il y a assez peu de confusion entre vous et vos personnages. Cependant il m’importe que le spectateur puisse vous identifier complétement à vos personnages. Vos personnages sont comme ceci parce que les acteurs qui les jouent sont ceux-là. Il y a cette phrase de Montaigne qui parle de sa relation d’amitié avec La Boétie, il écrit « parce que c’était lui, parce que c’était moi. » Pour moi, la présence d’un acteur sur scène au travers d’un texte, un personnage, une figure, devrait toujours être le résultat unique de cette équation : parce que c’était lui (le texte, le personnage, le metteur en scène) parce que c’était moi (l’acteur à un moment x de sa vie, de sa formation, de son parcours).

 

Tu nous as parlé plusieurs fois de « versatilité émotionnelle » en ce qui concerne les personnages de cette fiction, et notre travail d’acteurs aussi. Est-ce que tu considères que c’est quelque chose de récurrent dans ton travail de travailler sur une ambivalence dans les sentiments des personnages, comme s’ils étaient sur un fil émotionnel et qu’ils pouvaient toujours tomber d’un côté comme de l’autre ?

 

J’ai du mal avec les fictions où certains personnages sont vraiment exécrables, où on sent que le metteur en scène ou le réalisateur les déteste. Dans le travail qu’on fait ensemble, j’essaie de faire en sorte qu’on ne porte pas de jugement sur nos personnages, qu’on ne condamne pas. Même si la scène peut se transformer en tribunal, j’essaie toujours de laisser la liberté aux spectateurs de les aimer ou non, de les comprendre ou non. 

 

Il y a une citation de Virginia Woolf dans le spectacle qui est « La haine se distingue à peine de l’amour », qui fait écho à Vertige, c’est intéressant de s’interroger sur cette circulation entre la haine et l’amour. J’aime qu’on puisse jouer avec l’ambivalence des sentiments, qu’on puisse par exemple se dire des horreurs avec le sourire. Les personnages sont sans arrêt dans une ambivalence, en tout cas en ce qui concerne le sentiment amoureux. Ils tombent amoureux de la mauvaise personne, ou alors pour certains on ne sait pas s’ils sont amoureux ou non. J’aime travailler sur l’idée d’un désir qui circule mal entre les êtres. Ce qui est sûr c’est que dans la pièce, il n’y a pas d’évidence, tout est noueux. Marivaux a quand même pas mal infusé. Dans la plupart de ses pièces, il y a presque toujours 6 personnages, 3 couples qui se font, se défont, se recomposent… et se décomposent. Ici aussi il y a 3 couples, ou plutôt 3 duos, mais il y a une multitude de combinaison…

« La haine se distingue à peine de l’amour » – Virginia Woolf

 

Qu’est-ce qui t’a donné envie de donner pour cadre à cette fiction un hôtel et l’univers du service ?

 

Je pense qu’inconsciemment le film Gosford Park de Robert Altman, que je vous avais demandé de regarder pendant notre 1er stage ensemble, m’a influencé. Chez Altman, il s’agit d’une maison de maîtres avec d’un côté l’aristocratie et la richesse, de l’autre les besogneux, les derniers étant au service des premiers. Ici il s’agit d’un hôtel, c’est un lieu qui permet de confronter des mondes, les gens qui partent et ceux qui restent, les riches et les pauvres.

 

Et c’est rare dans les fictions qui se déroulent dans un hôtel qu’on ne voit que le point de vue des employés. Là, on se situe uniquement dans les coulisses de l’hôtel. C’est un métier de la représentation, donc il peut y avoir un lien avec le théâtre : quand on travaille dans un hôtel on porte parfois un costume, il faut toujours être poli, souriant, être capable de se mettre en quatre pour le client. Il y a quelque chose de la représentation sociale qui est intéressante à explorer, d’ailleurs dans la pièce les personnages sont tous des employés mais viennent eux-mêmes de milieux sociaux différents, et ils n’ont pas la même place dans la hiérarchie de l’hôtel…

 

La Tour de Constance va se jouer à l’École et Vertige dans la saison du TNB en juin, quel pourrait être l’écho entre ces 2 spectacles ?

 

Au départ Confusion (qui s’est donc transformé en Tour de Constance) était en lien avec Vertige, c’étaient des spectacles presque jumeaux… Alors certes le projet a évolué, ce ne sont donc plus des spectacles jumeaux, mais ce sont des spectacles frères, il y a énormément de points communs entre les 2. Les liens se sont faits inconsciemment mais aussi de manière très volontaire, aussi c’est une chance de pouvoir présenter les deux au TNB pour que le spectateur puisse goûter ce phénomène d’écho, le goûter ou l’ignorer d’ailleurs !

 

– Propos recueillis par Julie Borgel, élève de la promotion 11 (décembre 2022)

 

Le Magazine du TNB

 

La Tour de Constance est une création de Guillaume Vincent, artiste associé au TNB, pour le projet Une saison à l'École, monté avec la promotion 11. Ce spectacle est à découvrir au TNB de janvier à juin 2023.

À PROPOS DE "LA TOUR DE CONSTANCE"

ENTRETIEN AVEC GUILLAUME VINCENT

Publié le 04/01/2023

 

La Tour de Constance est une création de Guillaume Vincent, artiste associé au TNB, pour le projet Une saison à l'École, monté avec la promotion 11. Ce spectacle est à découvrir au TNB de janvier à juin 2023.

Tu as écrit un texte pour cette Saison à l’École de la promotion 11 de l'École du TNB, est-ce qu’il y a une différence par rapport aux travaux que tu as déjà pu mener avec d’autres élèves d’école ?

« Vous allez vivre 6 mois avec ce spectacle »

Il y a 2 ans j’ai écrit Vertige dans le cadre d’un stage à l’École du Nord de Lille mais c’était très différent, l’écriture de Vertige n’a pas été préméditée, ça s’est fait suite à un confinement forcé et puis sur un temps très court, c’était spontané et presqu’inattendu. L’idée de La Tour de Constance est venue tout de suite après ma 1re rencontre avec vous, en novembre 2021. Quelques notes que j’ai prises, des idées, des bouts de scènes que j’ai commencé à rédiger dans le train du retour, dès le lendemain. Quand je travaille avec des élèves, j’aime bien travailler sur des impros, autour d’un sujet, sur un auteur. Mais c’est la 1re fois que je m’engage dans l’écriture d’un texte. C’est une responsabilité énorme parce que vous allez vivre 6 mois avec ce spectacle. C’est une expérience unique. Ce n’est pas rien 6 mois dans le temps d’un apprentissage.

 

Est-ce que tu abordes le travail différemment dans le cadre d’un projet au sein d’une école par rapport aux spectacles que tu mets en scène avec des comédiens professionnels ?

 

Non c’est quasiment pareil. Je suis soucieux de la place de chacun. La différence, c’est que je le fais en essayant de transmettre quelque chose… Disons que « mes cours » sont aussi très théoriques, j’adore parler des acteurs, ceux que j’ai pu côtoyer mais aussi ceux que j’aime (et ceux que je n’aime pas !). 

Essayer de nommer les qualités d’un acteur, mais ce n’est pas forcément de bien jouer… être à l’heure, rêver, nourrir le travail sans arrêt, le remettre en question, être exigeant sur son parcours, ne pas laisser de côté les détails.

 

Au début du travail la notion de confusion était un élément central du projet (confusion entre acteurs et personnages, entre réalité et fiction), cette idée était même déjà présente pendant notre 1er stage avec toi où la phrase « Ils font semblant de faire semblant », qui vient de la pièce de Marivaux Les Acteurs de bonne foi, avait été mentionnée à plusieurs reprises.

Finalement cette notion a été un peu écartée, que reste-t-il de cette idée de « confusion » aujourd’hui dans le spectacle selon toi ?

« J’ai écrit à partir de vous mais sans savoir grand-chose de vous, simplement en vous observant sur le plateau »

Cette histoire de confusion était centrale, c’était même le point de départ et le titre du projet… Nous nous sommes vus fin juin et puis fin septembre et en travaillant avec vous, j’ai revu ma copie. Ça m’a soulagé finalement d’amputer le projet de ce que je pensais être son essence. Cette idée était trop proche de ce que j’ai pu faire avant, notamment dans Vertige. Alors me contraindre à écrire une fiction où le théâtre n’est pas au centre, c’était une manière de me déplacer. C’est la 1re fois que j’écris une fiction sans dimension méta-théâtrale. J’ai écrit à partir de vous mais sans savoir grand-chose de vous, simplement en vous observant sur le plateau et un peu (un tout petit peu) en vous observant au dehors, je n’ai pas lu vos dossiers du concours par exemple. La confusion peut s’exprimer au travers par exemple de certains noms des personnages qui sont empruntés aux acteurs, ou alors sont proches phonétiquement ou sociologiquement des prénoms des acteurs. 

 

Aussi j’ai l’impression qu’il y a assez peu de confusion entre vous et vos personnages. Cependant il m’importe que le spectateur puisse vous identifier complétement à vos personnages. Vos personnages sont comme ceci parce que les acteurs qui les jouent sont ceux-là. Il y a cette phrase de Montaigne qui parle de sa relation d’amitié avec La Boétie, il écrit « parce que c’était lui, parce que c’était moi. » Pour moi, la présence d’un acteur sur scène au travers d’un texte, un personnage, une figure, devrait toujours être le résultat unique de cette équation : parce que c’était lui (le texte, le personnage, le metteur en scène) parce que c’était moi (l’acteur à un moment x de sa vie, de sa formation, de son parcours).

 

Tu nous as parlé plusieurs fois de « versatilité émotionnelle » en ce qui concerne les personnages de cette fiction, et notre travail d’acteurs aussi. Est-ce que tu considères que c’est quelque chose de récurrent dans ton travail de travailler sur une ambivalence dans les sentiments des personnages, comme s’ils étaient sur un fil émotionnel et qu’ils pouvaient toujours tomber d’un côté comme de l’autre ?

 

J’ai du mal avec les fictions où certains personnages sont vraiment exécrables, où on sent que le metteur en scène ou le réalisateur les déteste. Dans le travail qu’on fait ensemble, j’essaie de faire en sorte qu’on ne porte pas de jugement sur nos personnages, qu’on ne condamne pas. Même si la scène peut se transformer en tribunal, j’essaie toujours de laisser la liberté aux spectateurs de les aimer ou non, de les comprendre ou non. 

 

Il y a une citation de Virginia Woolf dans le spectacle qui est « La haine se distingue à peine de l’amour », qui fait écho à Vertige, c’est intéressant de s’interroger sur cette circulation entre la haine et l’amour. J’aime qu’on puisse jouer avec l’ambivalence des sentiments, qu’on puisse par exemple se dire des horreurs avec le sourire. Les personnages sont sans arrêt dans une ambivalence, en tout cas en ce qui concerne le sentiment amoureux. Ils tombent amoureux de la mauvaise personne, ou alors pour certains on ne sait pas s’ils sont amoureux ou non. J’aime travailler sur l’idée d’un désir qui circule mal entre les êtres. Ce qui est sûr c’est que dans la pièce, il n’y a pas d’évidence, tout est noueux. Marivaux a quand même pas mal infusé. Dans la plupart de ses pièces, il y a presque toujours 6 personnages, 3 couples qui se font, se défont, se recomposent… et se décomposent. Ici aussi il y a 3 couples, ou plutôt 3 duos, mais il y a une multitude de combinaison…

« La haine se distingue à peine de l’amour » – Virginia Woolf

 

Qu’est-ce qui t’a donné envie de donner pour cadre à cette fiction un hôtel et l’univers du service ?

 

Je pense qu’inconsciemment le film Gosford Park de Robert Altman, que je vous avais demandé de regarder pendant notre 1er stage ensemble, m’a influencé. Chez Altman, il s’agit d’une maison de maîtres avec d’un côté l’aristocratie et la richesse, de l’autre les besogneux, les derniers étant au service des premiers. Ici il s’agit d’un hôtel, c’est un lieu qui permet de confronter des mondes, les gens qui partent et ceux qui restent, les riches et les pauvres.

 

Et c’est rare dans les fictions qui se déroulent dans un hôtel qu’on ne voit que le point de vue des employés. Là, on se situe uniquement dans les coulisses de l’hôtel. C’est un métier de la représentation, donc il peut y avoir un lien avec le théâtre : quand on travaille dans un hôtel on porte parfois un costume, il faut toujours être poli, souriant, être capable de se mettre en quatre pour le client. Il y a quelque chose de la représentation sociale qui est intéressante à explorer, d’ailleurs dans la pièce les personnages sont tous des employés mais viennent eux-mêmes de milieux sociaux différents, et ils n’ont pas la même place dans la hiérarchie de l’hôtel…

 

La Tour de Constance va se jouer à l’École et Vertige dans la saison du TNB en juin, quel pourrait être l’écho entre ces 2 spectacles ?

 

Au départ Confusion (qui s’est donc transformé en Tour de Constance) était en lien avec Vertige, c’étaient des spectacles presque jumeaux… Alors certes le projet a évolué, ce ne sont donc plus des spectacles jumeaux, mais ce sont des spectacles frères, il y a énormément de points communs entre les 2. Les liens se sont faits inconsciemment mais aussi de manière très volontaire, aussi c’est une chance de pouvoir présenter les deux au TNB pour que le spectateur puisse goûter ce phénomène d’écho, le goûter ou l’ignorer d’ailleurs !

 

– Propos recueillis par Julie Borgel, élève de la promotion 11 (décembre 2022)

 

EN ÉCHO

Artiste associé

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