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À PROPOS DE "NOTRE SOLITUDE"

ENTRETIEN AVEC YANNICK HAENEL

Publié le 06/10/2022

 

Écrivain né à Rennes, Yannick Haenel est artiste associé au TNB. De septembre à décembre 2020, il a suivi le procès des attentats de janvier 2015. Il a écrit une chronique quotidienne sur le site du journal Charlie Hebdo. Puis un récit, Notre solitude, paru aux éditions Les Échappés. Ce récit est lu au TNB par la comédienne Marie-Sophie Ferdane. 

Y-a-t-il pour vous un avant et un après l’écriture de vos chroniques et de ce récit ?

Le suivi de ce procès et son écriture pendant 3 mois m’ont changé. D’une part, il y a l’intensité de ce qui s’est joué chaque jour, les prises de parole des survivant·es et des témoins. Elles m’ont bouleversé et acculé à une responsabilité : être, à mon tour, un témoin de témoins. Je devais donc trouver une écriture qui soit au plus près et au plus juste de ce qui se déroulait durant les audiences. Il me fallait sauver des paroles qui n’étaient ni enregistrées ni filmées, mais juste notées à la va-vite. J’étais pris dans l’urgence et la responsabilité de dire juste et de tout dire. Cette double exigence m’a renvoyé à l’essence même de la littérature, à ce qu’elle a de plus beau et de plus impossible.

 

 

Comment avez-vous écrit ?

« C’était un face à face avec l’humanité. Jamais je n’avais été aussi près des abîmes »

L’écriture ne s’arrêtait jamais. Il pouvait y avoir 10 heures de débat dans la journée. Mon texte devait être livré le matin tôt à Charlie Hebdo. Il n’était pas question d’en différer l’envoi. Cette impossibilité de remettre à plus tard m’a accordé à une vitesse dramatique de l’écriture. Assez vite, j’ai créé un rituel. Au sortir du procès, j’étais épuisé. J’ai donc décidé d’écrire à 4 heures du matin, 1, 2 ou 15 pages, chaque jour, et ce pendant 3 heures. Cette expérience – écrire et être à la hauteur de l’innommable, le crime, la mort et la survivance –, m’a recentré sur l’essentiel. J’ai écrit au scalpel. Je ne me suis plus raconté d’histoire. C’était un face à face avec l’humanité. Jamais je n’avais été aussi près des abîmes. Les survivant·es de l’Hyper Cacher de Vincennes et de Charlie Hebdo m’ont marqué à jamais. Arriver à redire ce qu’ils disaient, articuler leurs mots à de grandes questions philosophiques : tel était mon objet.

 

Une des phrases fondamentales de votre récit n’est-elle pas la suivante : « Les morts ne meurent pas tant que nous parlons d’eux »?

« Le langage sait créer de la vie même là où on la pense muette. »

 

Il s’agit d’une profession de foi et d’une définition du langage humain, de ce qui nous voue à reprendre vie, sans cesse, avec le langage. Si je voulais utiliser un mot religieux, je parlerais de résurrection, mais au sens laïc. La résurrection laïque n’est rien d’autre que la mémoire. Comme dans l’amour, tant qu’on pense à quelqu’un, ce quelqu’un existe. J’ai vécu un débordement. Jamais je n’ai autant écrit de ma vie. Parfois dans ma divagation nocturne, je me disais que si on ne cessait plus d’écrire, alors la mort n’existerait pas. Il y a quelque chose de spirituel ou de mystique dans l’idée que quelque chose est plus fort que la mort. Mais c’est un fait : le langage sait créer de la vie même là où on la pense muette. J’avais, c’est vrai, la hantise que ça s’arrête de parler.

 

Avec ce titre en forme de quasi oxymore, Notre solitude, ne convoquezvous pas implicitement le théâtre, qui est le lieu par excellence d’une solitude intime mais collective ?

 

Lorsque j’ai entendu Marie-Sophie Ferdane dire le texte, j’étais stupéfait. Écrivant la nuit, j’avais été confronté à ma solitude. En revanche, ce qui s’est passé pendant les 3 mois d’audiences relève des rituels et des prises de parole. Au procès, tout était adressé à une communauté qui ne cessait de se faire ou se défaire. La transmission par la voix d’une actrice semble être une évidence. Ce texte écrit à voix basse sera dit à bouche ouverte par Marie-Sophie Ferdane face à un public.

 

→ Read this interview in English

Le Magazine du TNB

 

Écrivain né à Rennes, Yannick Haenel est artiste associé au TNB. De septembre à décembre 2020, il a suivi le procès des attentats de janvier 2015. Il a écrit une chronique quotidienne sur le site du journal Charlie Hebdo. Puis un récit, Notre solitude, paru aux éditions Les Échappés. Ce récit est lu au TNB par la comédienne Marie-Sophie Ferdane. 

À PROPOS DE "NOTRE SOLITUDE"

ENTRETIEN AVEC YANNICK HAENEL

Publié le 06/10/2022

 

Écrivain né à Rennes, Yannick Haenel est artiste associé au TNB. De septembre à décembre 2020, il a suivi le procès des attentats de janvier 2015. Il a écrit une chronique quotidienne sur le site du journal Charlie Hebdo. Puis un récit, Notre solitude, paru aux éditions Les Échappés. Ce récit est lu au TNB par la comédienne Marie-Sophie Ferdane. 

Y-a-t-il pour vous un avant et un après l’écriture de vos chroniques et de ce récit ?

Le suivi de ce procès et son écriture pendant 3 mois m’ont changé. D’une part, il y a l’intensité de ce qui s’est joué chaque jour, les prises de parole des survivant·es et des témoins. Elles m’ont bouleversé et acculé à une responsabilité : être, à mon tour, un témoin de témoins. Je devais donc trouver une écriture qui soit au plus près et au plus juste de ce qui se déroulait durant les audiences. Il me fallait sauver des paroles qui n’étaient ni enregistrées ni filmées, mais juste notées à la va-vite. J’étais pris dans l’urgence et la responsabilité de dire juste et de tout dire. Cette double exigence m’a renvoyé à l’essence même de la littérature, à ce qu’elle a de plus beau et de plus impossible.

 

 

Comment avez-vous écrit ?

« C’était un face à face avec l’humanité. Jamais je n’avais été aussi près des abîmes »

L’écriture ne s’arrêtait jamais. Il pouvait y avoir 10 heures de débat dans la journée. Mon texte devait être livré le matin tôt à Charlie Hebdo. Il n’était pas question d’en différer l’envoi. Cette impossibilité de remettre à plus tard m’a accordé à une vitesse dramatique de l’écriture. Assez vite, j’ai créé un rituel. Au sortir du procès, j’étais épuisé. J’ai donc décidé d’écrire à 4 heures du matin, 1, 2 ou 15 pages, chaque jour, et ce pendant 3 heures. Cette expérience – écrire et être à la hauteur de l’innommable, le crime, la mort et la survivance –, m’a recentré sur l’essentiel. J’ai écrit au scalpel. Je ne me suis plus raconté d’histoire. C’était un face à face avec l’humanité. Jamais je n’avais été aussi près des abîmes. Les survivant·es de l’Hyper Cacher de Vincennes et de Charlie Hebdo m’ont marqué à jamais. Arriver à redire ce qu’ils disaient, articuler leurs mots à de grandes questions philosophiques : tel était mon objet.

 

Une des phrases fondamentales de votre récit n’est-elle pas la suivante : « Les morts ne meurent pas tant que nous parlons d’eux »?

« Le langage sait créer de la vie même là où on la pense muette. »

 

Il s’agit d’une profession de foi et d’une définition du langage humain, de ce qui nous voue à reprendre vie, sans cesse, avec le langage. Si je voulais utiliser un mot religieux, je parlerais de résurrection, mais au sens laïc. La résurrection laïque n’est rien d’autre que la mémoire. Comme dans l’amour, tant qu’on pense à quelqu’un, ce quelqu’un existe. J’ai vécu un débordement. Jamais je n’ai autant écrit de ma vie. Parfois dans ma divagation nocturne, je me disais que si on ne cessait plus d’écrire, alors la mort n’existerait pas. Il y a quelque chose de spirituel ou de mystique dans l’idée que quelque chose est plus fort que la mort. Mais c’est un fait : le langage sait créer de la vie même là où on la pense muette. J’avais, c’est vrai, la hantise que ça s’arrête de parler.

 

Avec ce titre en forme de quasi oxymore, Notre solitude, ne convoquezvous pas implicitement le théâtre, qui est le lieu par excellence d’une solitude intime mais collective ?

 

Lorsque j’ai entendu Marie-Sophie Ferdane dire le texte, j’étais stupéfait. Écrivant la nuit, j’avais été confronté à ma solitude. En revanche, ce qui s’est passé pendant les 3 mois d’audiences relève des rituels et des prises de parole. Au procès, tout était adressé à une communauté qui ne cessait de se faire ou se défaire. La transmission par la voix d’une actrice semble être une évidence. Ce texte écrit à voix basse sera dit à bouche ouverte par Marie-Sophie Ferdane face à un public.

 

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