Théâtre National de Bretagne
Direction Arthur Nauzyciel

LOUIS ATLAN AU FAST FORWARD FESTIVAL (DRESDEN)

LOUIS ATLAN AU FAST FORWARD FESTIVAL (DRESDEN)

NOV 2023

Le festival Fast Forward a été fondé en 2011 au Staatstheater Braunschweig (Allemagne) et a lieu au Staatsschauspiel Dresden depuis 2017.

Il s’agit d’un festival de théâtre européen pour jeunes metteur·es en scène. Chaque année en novembre, pendant 4 jours, le festival présente des performances venant de toute l’Europe, dirigées par des artistes en début de carrière de mise en scène. Le festival permet ainsi de donner à voir la diversité de la jeune création contemporaine, de proposer à la création émergente une plateforme de rencontre et de faire découvrir de nouvelles œuvres au public. Chaque année, un jury international attribue un prix à l’une des productions invitées, dont la metteure ou le metteur en scène est ensuite invité·e à créer une nouvelle pièce au Staatsschauspiel Dresden. Sont également attribués un prix du public, et, depuis 2022, un prix d’un jury jeune.

 

Le Staatstheater Dresden et le TNB partagent ainsi une attention particulière pour les parcours d’artistes, pour l’émergence des futures générations de créateurs et créatrices, pour la transmission de pairs à pairs. Ainsi, dans le cadre d’un nouveau partenariat soutenu par l’European Theater Convention, l’École du TNB a pu proposer à un ancien élève, accompagné au titre de notre dispositif d’insertion professionnelle, de prendre part au « forum » organisé dans le cadre du festival : la constitution d’une plateforme réunissant élèves, pédagogues, producteurs et productrices et metteur·es en scène européens.

 

→ Louis Atlan, issu de la promotion 10, revient sur son expérience à Dresden.

 

 

| Qu’est-ce qui t’a donné envie de participer au Fast Forward Forum ?

 

Je ne savais pas que durant ce forum j’allais trouver ce que j’y ai trouvé. J’avais comme un pressentiment néanmoins ; l’envie de savoir si les jeunes créateur·rices étaient confronté·es aux mêmes questionnements, aux mêmes doutes et si nos quêtes personnelles pouvaient être mutualisées. Comment ça se passe ailleurs ? Quelle forme cela prend, comment se montent des projets, comment les diffuser, quel parcours pour eux. Très simplement et concrètement, quel théâtre émerge là-bas ? Quels étaient les pratiques et les discours sur ces pratiques ? De quels moyens techniques et financiers disposaient-ils, sont autant de questions que je me posais en y songeant.

 

Et pour le festival en lui-même, je me suis dit, c’est en Allemagne, à Dresden, au centre de l’Europe et théâtralement et historiquement ça m’attire. Après avoir rencontré des artistes émergents à Leipzig et à Berlin, et vu des compagnies théâtrales allemandes au travail en France, j’étais assez émerveillé par leur rapport à l’art, à la scène, je voulais voir comment un Staatschauspiel (théâtre d’état) de ce pays, qui logiquement programme ces artistes, fonctionnait. Bien sûr, chaque théâtre est différent, et tous n’emploient pas forcément ces artistes, mais celui-ci avait la particularité d’héberger un festival dédié à l’émergence internationale. Et je voulais voir dans l’émergence internationale ce qu’ils jugeaient utile de programmer. Comment s'orchestre tout particulièrement un festival, qui plus est dédié à l’émergence. Qu’est-ce que des lieux comme celui-ci recherchent, quelles esthétiques leur parlent. Je dirais donc la curiosité et l’envie de comprendre.  

 

J’aime le théâtre en France qui vient d’Allemagne. J’envie leur radicalité. J’envie leurs acteurs et actrices. Leurs inflexions aiguisées qui cisaillent l’air. Pour moi c’était donc aussi un prétexte pour retourner en Allemagne. Aller à nouveau au contact de cette langue. Le forum permettait d’assister à tous les spectacles programmés. De rencontrer les équipes, de chaque spectacle et donc de chaque pays et je sais d’expérience que les festivals internationaux sont des petits moments hors-sol, où l’on peut nouer en très peu de temps des liens forts, du fait de venir tous d’endroits différents, et de se retrouver à parler en très peu de temps à autant de gens d’endroits différents, j’adore ça. Les gens sont accessibles. Tout le monde est à l’étranger. Tout le monde découvre ensemble. Beaucoup plus que si on prenait chaque personne dans sa routine à domicile. C’est peu fréquent, et le cerveau marche différemment. J’aime cette effusion d’accents, d’origines, et parler anglais me déplace. Une nouvelle langue c’est comme un masque et j’en viens presque à préférer être à l’étranger. Les quelques expériences de travail ou dans des festivals internationaux que j’ai eues ont confirmé que les vraies rencontres étaient toujours inoubliables, déterminantes et porteuses de collaborations. 

 

| Qu’y as-tu découvert ou appris ? 

 

Les discussions étaient riches, car nos parcours et nos origines, par leurs écarts, concoctaient du débat. En général, après les pièces on parle avec les gens de façon non organisée, à la sortie, ou au bar des festivals (avec parfois des références très communes quand on est du même pays), et plusieurs discussions qui ont lieu en même temps vaudraient la peine d’être entendues du plus grand nombre. Là c’est planifié. Ces discussions vont devenir des débats ouverts. Le forum est l’espace pour ça et du temps est laissé entre chaque pièce pour se préparer à nommer ce qu’on vient d’éprouver. C’est bien qu’un festival se dote d’un forum pour spectateur·rices, et surtout en 2 temps, sans les artistes d’abord, pour les rencontrer ensuite. Comme un pré-bord plateau avant celui-ci, que chacun·e puisse s’il le souhaite ne pas repartir chez lui qu’avec sa vision de la pièce. Mais le temps est essentiel, tout de suite après les représentations c’est souvent trop tôt pour que l’amas d’émotions provoquées en moi trouve les mots de s’exprimer. Je vois souvent un côté guillotine dans le bord plateau, on empêche un peu la pièce de résonner.

 

Mais bon pour des contraintes assez logiques je comprends qu’on ne puisse pas convoquer les gens le lendemain ou après. Il faudrait faire un forum sur plusieurs années (rires) car un spectacle pourrait résonner différemment, et retrouver des spectateurs de la représentation du 12 décembre 2023 en 2042 pour tel spectacle, ce serait cocasse, et très intéressant. J’ai vu que les spectacles se jouaient dans différents théâtres. Un festival dans différents lieux, ça permet de cartographier toute une partie de la ville. Ça promet d’être excitant. En chemin en groupe, on voit la ville à travers d’autres yeux que les siens, et découvrir un pays par les yeux d’autres pays, c’est super, c’est comme avoir plusieurs guides, alors voir des pièces ensemble, c’est être un spectateur augmenté. Et puis malgré cette augmentation je réalisais que certains avis me confortent parfois et affermissent d’autant plus mon opinion contraire. Ce n’est pas un débat pour se mettre d’accord, c’est un débat pour avancer. Avancer dans nos démarches respectives et nos conceptions intimes et je crois que pour tout le monde impliqué c’était une première expérience, et une mémorable.

 

J’ai découvert que la France était une exception dans le paysage contemporain théâtral européen. Je m’en doutais déjà en entendant les interprètes espagnols et italiens en interview. En rencontrant des jeunes équipes portugaises, serbes, grecques, je me suis rendu compte également à quel point le self-made et la débrouille étaient la base des bases. D’autant plus dans ces pays-là. L’accueil de l’émergence d’un pays à l’autre est très similaire, parfois étrange, en Finlande par exemple, pour un spectacle alliant La Cerisaie et Fight-Club qui était présenté dans un théâtre national très conventionnel, les gens pouvaient applaudir et demander plusieurs rappels en standing et ne pas avoir aimé du tout la pièce une fois sortis du théâtre. Souvent, un bel article dans tel journal a changé la donne pour ces équipes.

 

En Norvège, les élèves apprennent dès l’école à s’ouvrir sur l’international et à jouer dans une autre langue car leur pays est petit et faire du théâtre en norvégien c’est s’adresser à 5,4 millions de personnes maximum dans le monde entier. J’ai pris la mesure de la portée de ce qu’on présente, et les possibles outre la France pour mon travail et de celui de ma compagnie. Mon spectre d’adresse s’est polarisé, grâce à toutes ces expériences en tant que spectateur de spectacles étrangers, mais surtout grâce aux retours des autres spectatrices et spectateurs étrangers. Et sur l’Allemagne j’ai découvert qu’il y a beaucoup de choses intéressantes, beaucoup de troupes, et de festivals. Partout. Mais par rapport à l’Allemagne qui, même si elle est une puissance économique supérieure à la France, donne 2 fois moins de financements qu’elle à la culture, nous n’avons pas de quoi rougir. Notre système d’intermittence vend du rêve. C’est une chance et ça doit le rester. 

 

| Qu’en retiens-tu pour la suite de ton parcours professionnel ?

 

Je retiens une chose que nous a dite Eleni Efthymiou : « qu’il n’y a pas de chemin, pas de formules, parler du cœur et de ce qui nous est nécessaire à nous, faire des choses dans la mouvance c’est bientôt faire ce que tout le monde fera. Aussi que tout le monde visera les lieux les plus en vue, mais qu’il y a d’autres voies, et surtout que la meilleure arme c’est la patience. » On l’entend beaucoup, mais l’entendre de gens qui l’ont vraiment vécu et qui en étaient là où ils étaient à ce moment-là, c’est beau et galvanisant.

 

| Ton souvenir le plus fort ?

 

Quand l’auteur et metteur en scène Patrik Lazić du spectacle Our Son nous a raconté qu’en Serbie, sa pièce avait été jouée à Belgrade, à l’Heartefact, et que sur les années c’était devenu un rituel pour beaucoup de jeunes qui faisaient leur coming-out, d’emmener leurs parents voir la pièce ensuite. J’ai été frappé du pouvoir du théâtre dans cette anecdote, de sa raison d’être et de sa force. Par la pièce également, l’écriture limpide, auto-documentaire et proposée en quadri-frontal avait l’habitude d’être présentée en appartement. Le seul endroit qu’ils avaient réussi à trouver pour jouer. Et maintenant leur appartement devenait un vrai espace renommé où proposer des pièces. Les spectateurs y sont comme dans le salon de cette famille, qui pourrait être la nôtre. Le jeu est simple, droit, et touche au but. Un vrai dîner a lieu sur scène, les odeurs emplissent la salle, comme les bruits des couverts qui raclent et grincent. La mastication des aliments corrobore celle des pensées des personnages, et l’effet est réel.

 

— Louis Atlan, novembre 2023

 

Photo © Louise Quignon