Théâtre National de Bretagne
Direction Arthur Nauzyciel

Chloé Moglia

Chloé Moglia

À PROPOS DE L'OISEAU-LIGNES

Entre la danse et le cirque (vous êtes trapéziste de formation), où se situe votre représentation, L’Oiseau-lignes ?
Elle relève des 2 genres, ainsi que de la musique et d’une rêverie graphique. L’Oiseau-lignes n’appartient pas un seul champ disciplinaire. Je ne suis pas danseuse et je ne fais plus de trapèze. Ce qui fait que les disciplines se rejoignent, c’est l’aisance à se mouvoir librement, mais avec des contraintes. Et, plus spécifiquement en lien avec le cirque, il y a aussi l’élévation en verticalité au dessus du sol.

 

Comment la musique influe-t-elle sur le mouvement du corps et sur le modelage de l’espace ?
Le son sculpte l’espace, espace géographique et espace intérieur. Ça joue sur des endroits de sensibilité et d’émotivité. Ma lecture du son se traduit en graves ou aigus, au sens de grave ou léger. « Grave » : c’est un mot qui dit une tonalité sonore, mais aussi une tonalité affective et subjective. Le son module et travaille l’espace.

 

Quelle image pouvez-vous nous donner de L’Oiseau-lignes ?
C’est une ligne ! Ce sont des lignes mouvantes, qui se brisent ou se déploient, qui sont stables ou instables. S’il y bien a une chose qu’on tisse, trace, manie et suit, ce sont ces lignes. Lignes invisibles mais audibles (musicales), lignes qu’on fait avec une craie sur une surface noire, lignes qui forment des chemins, des directions, lignes où je me suspends. Il y a tout un jeu avec l’imaginaire que convoquent les lignes. Elles sont ce qui se sépare et connecte, ce qui est poreux, se traverse ou se longe. Elles nous font revivre comme si nous étions reliés à ce qui se passe autour de nous ou à l’intérieur de nous. L’Oiseau-lignes est, peut-être, un spectacle de dessin. Aucune discipline connue ne raconte le chant/champ des lignes.

 

Comment écrivez vous chant/champ des lignes ?
Je me garde bien de l’écrire, c’est justement ça qu’on appelle la langue des oiseaux. On ne fixe pas les choses en leur assignant un sens et un seul. On ouvre à la polysémie, on accepte d’entendre différents sens, ou non-sens, on écoute autrement. J’aimerais créer le plaisir d’une écoute attentive à ce qui se passe en profondeur. Et que vacille l’assurance de la stabilité.

 

Quel rapport avez-vous avec le vide et le vertige ?
Je fais de la suspension. Je me suspends au dessus du vide, et je chemine dans cet état suspensif. C’est un rapport au vide qui est inversé. Même si se tenir debout, c’est déjà être dans le ciel (à l’exception des pieds), être en suspension, c’est mettre le ciel en dessous, pas en dessus. La suspension, c’est la retenue d’une chute. Il faut faire un effort pour se tenir. C’est le rappel saillant de notre condition de mortel. C’est également le fait de devoir, dans une contrainte forte, trouver des solutions. C’est une situation que nous vivons en permanence. Lorsque je suis en suspension, je l’observe plus puissamment. Je ne fais plus de trapèze, discipline qui relève de l’extraordinaire. Je fais des choses ordinaires mais de manière appuyée et exacerbée pour mieux observer ce qui se passe là-dedans. Pour éprouver de la liberté et de la respiration dans les contraintes que je me fixe. Seule manière de rester vivante.

 

Le Festival TNB est, cette année, marqué par des propositions sur le devenir de la planète. L’inquiétude face au péril écologique traverse les spectacles. Vous inscrivez-vous dans cette mouvance ?
Absolument. Même si je ne le dis pas frontalement. À quoi servirait de le dire ainsi, d’ailleurs. Nous le savons. Même si nos actes sont dérisoires, il faut les faire. C’est un vertige terrible. Lorsque je parlais d’une stabilité qui se fissure et défaille, de ces choses qu’on pensait pérennes et qui vacillent, oui, je pensais aux dangers qui menacent l’homme et la planète. Ces dangers traversent le spectacle. Le transpercent. Un spectacle ne sauvera pas le monde. Mais puissions-nous, ensemble, trouver comment ajuster nos actes et nos êtres par rapport à ces données présentes, pressantes et très violentes.

 

– Propos recueillis par Joëlle Gayot, octobre 2019