Théâtre National de Bretagne
Direction Arthur Nauzyciel

Le Magazine du TNB Image retour sur la une

ÉTUDIANT·E NOMADE

LUCILLE EN AFRIQUE DU SUD

Publié le 08/02/2024

 

En séjour d’étude ou en stage, la mobilité internationale des élèves fait partie intégrante de leur cursus de formation. 

À l’image du projet artistique du TNB, l’École du TNB développe un projet pédagogique résolument ouvert sur l’international : invitations d’artistes-pédagogues étrangers, échanges internationaux à l’occasion de workshops… mais aussi séjours individuels à l’étranger en 3e année de formation. 

 

Cette semaine, suivez Lucille à Machadodorp avec le Forgotten Angle Theatre Collaborative

 

« Mille brasses.

Il y eut un soir, il y eut un matin.

Hein, qu'est-ce que je raconte ?

Ils se prirent les mains avant la première bouchée, je déglutissais déjà la mienne. Vor space en drank dankie... On connaît par cœur la rengaine de M'Culu.

So why don't you just givin' up 'cause you don't understand baby ? Oui certes Selah, tu touches une corde sensible ; mais pourrais-je alors me réjouir de l'évènement hélicoïdal du scarabée qui m'a choisi pour une nuit, en ce moment même où j'écris sur mon ordinateur fenêtres ouvertes à la faveur de ma solitude ? Je lui coupe l'herbe sous le pied.

C'est en fait le même coléoptère qui agonise sur mon carrelage depuis hier soir. Je lui balance ponctuellement de petits grains de maïs pour tenter de lui rendre cette épreuve plus agréable. Mais c'est long à venir la mort sur le dos, on n'y peut rien.

La nuit tombe quand elle veut c'est-à-dire à 19h30, plein été mon pote.

Adieu les clopes qui t'entraînent hors de ton lit.

As-tu déjà éprouvé dans ton ventre camarade la division des jours et des nuits, leur dépendance réciproque ?

Rapetissé dans leur relation fusionnelle je suis, camarade, comme un enfant, cet enfant qui les dimanches erre sur les parkings des zones commerciales et raye la peinture des Scénic. Je bois sur ma terrasse une tisane de verveine citronnée. Je n'ai toujours pas rendu ma copie, pourtant je me suis appliqué. Dérobade.

 

T en Angleterre frr arrête de mytho fais pas genre t a l'autre bout du monde. C'est vrai. Tout est vert. Je porte un catogan en crochet et de petites pantoufles duveteuses à pompon. Marionnette. Un sourire tranquille masque mon visage. N'est-ce pas l'endroit idéal pour une tisane de verveine citronnée à l'heure de l'effondrement du capitalisme mondialisé ? ai-je demandé à l'effarouché faon d'une voix dont l'intonation bourgeoise nous étonne tous deux. Pas trop tard le soir non plus tu pourrais te faire bouffer par un chat sauvage – "a jaqual". Euh excuse-moi je demande au faon qui détale aussitôt non sans une dernière imprécation, Tout ça pour impressionner tout le monde en boîte, c'est pas joli. À quoi bon s'érailler la voix pour répondre au galop déjà lointain que Nous avons chacun·e nos raisons narcissiques de vivre ok ?... Voilà comme on nous écoute.

 

Je tourne alors les pages.

Je ne me guérirai pas de ma jeunesse ; allons vivre là où est la vie, ou mourrons du moins au soleil. Voici ma confession : j'aimerais trouver mon sol et y ployer aussi délicieusement que l'herbe juste fauchée qui fait croc-croc sous ton pas. Parce que j'ai l'habitude – c'est la seule chose que je peux faire avec une certaine certitude.

 

Suite du programme donc. Dignes digues pour prévenir la montée des eaux – qu'elles que soient leur couleur. Balistique des pieds. Erudition et amplitude des hanches. Indignation des doigts. Bleuité des genoux. Concrétions d'épiderme encanaillé, matin, midi et soir. Verseau, bonne nouvelle, pour son anniversaire cette année troquera la rhino pour le rhino.

 

Malheureusement je ne fais que simuler le délire paludique – les moustiques locaux en effet font preuve d'une abominable léthargie. Vous voyez, tout ce qu'on dit sur l'Afrique, c'est des conneries. »

 

_______________________________
Crédits citations

Con Sabbagha, Bénédicité en Afrikaans

Selah Sue, This World

Ludovic Bou, messagerie Whatsapp

Alfred de Musset, La Confession d'un enfant du siècle

 

| Peux-tu nous présenter la structure dans laquelle tu es et ce que tu y fais ?


Salut la commu, je suis en Afrique du Sud avec le Forgotten Angle Theatre Collaborative. C'est un beau nom. L'aventure de FATC a commencé à Johannesburg, en 95, quand PJ Sabbagha a monté son premier spectacle après avoir découvert la danse et le théâtre physique à l'université. C'était déjà un travail animé de préoccupations politiques – c'est quoi danser dans l'Afrique du Sud postapartheid, pour qui on le fait, avec qui on le fait ? – et inspiré de la danse-théâtre de Pina Bausch.


Aujourd'hui, FATC a migré en Mpumalanga, une province à l'est de Johannesburg, dans la ferme de la famille Sabbagha. La compagnie se consacre au territoire et sa population. Sur place, il y a le studio où l'enseignement chorégraphique est transmis par un danseur de la compagnie, et le potager dont les ressources (légumes, plants et semences) sont redistribuées à Machadodorp, village où a également lieu chaque année le festival de performances dans l'espace public My Body My Space. S'y produisent les artistes de la compagnie, les étudiant·e·s de l'école et les enfants des townships alentours, qui reçoivent des cours de danse de ces mêmes étudiant·es, formé·es à être performer·euses et facilitator (pédagogue). Moi, je suis cette formation avec elleux, je performerai à MBMS et je mets aussi la main au potager.

 

| Pourquoi avoir choisi cette destination ?


J'ai d'abord voulu aller là-bas pour la danse, le silence et les nuits étoilées, le travail de ferme. Ensuite, au moment de la rencontre par zoom, des mois avant d'arriver, j'ai senti que j'étais invité, que j'allais être accueilli, dans le sens fort de ce mot, et ça m'a touché. Aujourd'hui je réalise à quel point j'ai bien fait de m'éloigner de l'Europe, à quel point ma vie m'y avait préparé ces derniers mois, combien j'avais soif d'autre chose que de l'amertume qui imprègne l'air de notre continent ces temps-ci. J'étais à deux doigt de l'asthme culturel.  

 

|Ton expérience change-t-elle ton point de vue sur l'écosystème culturel français ?


Non. Je pensais déjà avant de partir ce que j'en pense aujourd'hui ; simplement maintenant c'est très concret.

 

| Qu'est-ce que cette expérience t'apporte en tant qu'artiste ?


Comme parfois auprès des personnes qu'on aime on s'absente pour les désirer plus fort, mon corps vibre loin de jouer. J'apprends que la danse c'est comme du subutex, le théâtre comme une main amie quand on marche en forêt.


| Un moment marquant depuis ton arrivée ?


Oui, c'est un moment marquant qui a lieu chaque jour depuis mon arrivée : je me réveille à 3 heures du matin. Chaque nuit donc. Il y a pour sûr un phénomène géologique en germe ici qui trouve son aimant dans mon corps. Opérez-moi à mon retour !

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LUCILLE EN AFRIQUE DU SUD

 

En séjour d’étude ou en stage, la mobilité internationale des élèves fait partie intégrante de leur cursus de formation. 

ÉTUDIANT·E NOMADE

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Publié le 08/02/2024

 

En séjour d’étude ou en stage, la mobilité internationale des élèves fait partie intégrante de leur cursus de formation. 

À l’image du projet artistique du TNB, l’École du TNB développe un projet pédagogique résolument ouvert sur l’international : invitations d’artistes-pédagogues étrangers, échanges internationaux à l’occasion de workshops… mais aussi séjours individuels à l’étranger en 3e année de formation. 

 

Cette semaine, suivez Lucille à Machadodorp avec le Forgotten Angle Theatre Collaborative

 

« Mille brasses.

Il y eut un soir, il y eut un matin.

Hein, qu'est-ce que je raconte ?

Ils se prirent les mains avant la première bouchée, je déglutissais déjà la mienne. Vor space en drank dankie... On connaît par cœur la rengaine de M'Culu.

So why don't you just givin' up 'cause you don't understand baby ? Oui certes Selah, tu touches une corde sensible ; mais pourrais-je alors me réjouir de l'évènement hélicoïdal du scarabée qui m'a choisi pour une nuit, en ce moment même où j'écris sur mon ordinateur fenêtres ouvertes à la faveur de ma solitude ? Je lui coupe l'herbe sous le pied.

C'est en fait le même coléoptère qui agonise sur mon carrelage depuis hier soir. Je lui balance ponctuellement de petits grains de maïs pour tenter de lui rendre cette épreuve plus agréable. Mais c'est long à venir la mort sur le dos, on n'y peut rien.

La nuit tombe quand elle veut c'est-à-dire à 19h30, plein été mon pote.

Adieu les clopes qui t'entraînent hors de ton lit.

As-tu déjà éprouvé dans ton ventre camarade la division des jours et des nuits, leur dépendance réciproque ?

Rapetissé dans leur relation fusionnelle je suis, camarade, comme un enfant, cet enfant qui les dimanches erre sur les parkings des zones commerciales et raye la peinture des Scénic. Je bois sur ma terrasse une tisane de verveine citronnée. Je n'ai toujours pas rendu ma copie, pourtant je me suis appliqué. Dérobade.

 

T en Angleterre frr arrête de mytho fais pas genre t a l'autre bout du monde. C'est vrai. Tout est vert. Je porte un catogan en crochet et de petites pantoufles duveteuses à pompon. Marionnette. Un sourire tranquille masque mon visage. N'est-ce pas l'endroit idéal pour une tisane de verveine citronnée à l'heure de l'effondrement du capitalisme mondialisé ? ai-je demandé à l'effarouché faon d'une voix dont l'intonation bourgeoise nous étonne tous deux. Pas trop tard le soir non plus tu pourrais te faire bouffer par un chat sauvage – "a jaqual". Euh excuse-moi je demande au faon qui détale aussitôt non sans une dernière imprécation, Tout ça pour impressionner tout le monde en boîte, c'est pas joli. À quoi bon s'érailler la voix pour répondre au galop déjà lointain que Nous avons chacun·e nos raisons narcissiques de vivre ok ?... Voilà comme on nous écoute.

 

Je tourne alors les pages.

Je ne me guérirai pas de ma jeunesse ; allons vivre là où est la vie, ou mourrons du moins au soleil. Voici ma confession : j'aimerais trouver mon sol et y ployer aussi délicieusement que l'herbe juste fauchée qui fait croc-croc sous ton pas. Parce que j'ai l'habitude – c'est la seule chose que je peux faire avec une certaine certitude.

 

Suite du programme donc. Dignes digues pour prévenir la montée des eaux – qu'elles que soient leur couleur. Balistique des pieds. Erudition et amplitude des hanches. Indignation des doigts. Bleuité des genoux. Concrétions d'épiderme encanaillé, matin, midi et soir. Verseau, bonne nouvelle, pour son anniversaire cette année troquera la rhino pour le rhino.

 

Malheureusement je ne fais que simuler le délire paludique – les moustiques locaux en effet font preuve d'une abominable léthargie. Vous voyez, tout ce qu'on dit sur l'Afrique, c'est des conneries. »

 

_______________________________
Crédits citations

Con Sabbagha, Bénédicité en Afrikaans

Selah Sue, This World

Ludovic Bou, messagerie Whatsapp

Alfred de Musset, La Confession d'un enfant du siècle

 

| Peux-tu nous présenter la structure dans laquelle tu es et ce que tu y fais ?


Salut la commu, je suis en Afrique du Sud avec le Forgotten Angle Theatre Collaborative. C'est un beau nom. L'aventure de FATC a commencé à Johannesburg, en 95, quand PJ Sabbagha a monté son premier spectacle après avoir découvert la danse et le théâtre physique à l'université. C'était déjà un travail animé de préoccupations politiques – c'est quoi danser dans l'Afrique du Sud postapartheid, pour qui on le fait, avec qui on le fait ? – et inspiré de la danse-théâtre de Pina Bausch.


Aujourd'hui, FATC a migré en Mpumalanga, une province à l'est de Johannesburg, dans la ferme de la famille Sabbagha. La compagnie se consacre au territoire et sa population. Sur place, il y a le studio où l'enseignement chorégraphique est transmis par un danseur de la compagnie, et le potager dont les ressources (légumes, plants et semences) sont redistribuées à Machadodorp, village où a également lieu chaque année le festival de performances dans l'espace public My Body My Space. S'y produisent les artistes de la compagnie, les étudiant·e·s de l'école et les enfants des townships alentours, qui reçoivent des cours de danse de ces mêmes étudiant·es, formé·es à être performer·euses et facilitator (pédagogue). Moi, je suis cette formation avec elleux, je performerai à MBMS et je mets aussi la main au potager.

 

| Pourquoi avoir choisi cette destination ?


J'ai d'abord voulu aller là-bas pour la danse, le silence et les nuits étoilées, le travail de ferme. Ensuite, au moment de la rencontre par zoom, des mois avant d'arriver, j'ai senti que j'étais invité, que j'allais être accueilli, dans le sens fort de ce mot, et ça m'a touché. Aujourd'hui je réalise à quel point j'ai bien fait de m'éloigner de l'Europe, à quel point ma vie m'y avait préparé ces derniers mois, combien j'avais soif d'autre chose que de l'amertume qui imprègne l'air de notre continent ces temps-ci. J'étais à deux doigt de l'asthme culturel.  

 

|Ton expérience change-t-elle ton point de vue sur l'écosystème culturel français ?


Non. Je pensais déjà avant de partir ce que j'en pense aujourd'hui ; simplement maintenant c'est très concret.

 

| Qu'est-ce que cette expérience t'apporte en tant qu'artiste ?


Comme parfois auprès des personnes qu'on aime on s'absente pour les désirer plus fort, mon corps vibre loin de jouer. J'apprends que la danse c'est comme du subutex, le théâtre comme une main amie quand on marche en forêt.


| Un moment marquant depuis ton arrivée ?


Oui, c'est un moment marquant qui a lieu chaque jour depuis mon arrivée : je me réveille à 3 heures du matin. Chaque nuit donc. Il y a pour sûr un phénomène géologique en germe ici qui trouve son aimant dans mon corps. Opérez-moi à mon retour !

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