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À PROPOS DE "POINGS"

ENTRETIEN AVEC PAULINE PEYRADE

Publié le 31/03/2021

Pauline Peyrade est l'auteure de Poings, texte mis en scène par Céleste Germe et le collectif Das Plateau, une création répétée en résidence au TNB en février 2021.

Quel est le point de départ de l'écriture de Poings ?

 

C’était dans le cadre du programme « Sujet à vif », en 2015, au festival d'Avignon, en collaboration avec la circassienne Justine Berthillot, avec qui on a créé une compagnie suite à cette rencontre. On ne se connaissait pas et pour « Sujet à vif » on a créé ensemble la première version de la partie « EST » (comme le point cardinal) qui est maintenant la fin du texte Poings.

« La rencontre avec Justine Berthillot a été déterminante, c'est un coup de cœur humain et artistique. »

Le texte décrivait la tentative de fuite d'une femme d'une relation toxique, tentative avortée puisqu'à la fin du texte elle faisait demi-tour et alors était décrite une des violences qu'elle subissait, le viol conjugal. Et puis le texte se terminait sur une nouvelle tentative de départ, comme une boucle qui recommence, pour raconter à quel point il est difficile de s'en aller, même du pire. La rencontre avec Justine Berthillot a été déterminante, c'est un coup de cœur humain et artistique. On a eu envie de poursuivre le travail ensemble, à partir de ce premier projet, en déployant cette histoire.

 

J'ai d'abord écrit le texte, puis nous l’avons adapté pour le théâtre, et le cirque puisque Justine est circassienne. À partir d'un point cardinal, « EST », on a décidé de déployer l'histoire avec les autres points cardinaux. Pendant longtemps, je me suis posée la question de cette forme qui s'imposait, qui paraissait problématique, mais qui avait du sens. Qu'est-ce que ça raconte un récit avec 5 formes différentes, alors que l’on suit une temporalité, et une même histoire ? Puis j'ai continué à travailler, et quand le motif, qui était là depuis le début, de la désorientation et de la perte de repères m'a sauté aux yeux, là j'ai pu finir en radicalisant davantage les ruptures formelles.

 

Pouvez-vous nous décrire la construction de ce texte, en 5 tableaux distincts ?

« Poings est un espace mental, on est totalement dans la tête de la femme. »

Poings est construit comme un polyptyque en 5 parties « OUEST », « NORD », « SUD », « POINTS » et « EST ». Chaque point cardinal correspond à un épisode clé de l'histoire. Il y a la rencontre, le viol conjugal, l'emprise psychologique et la manipulation, la toxicité très souterraine, et c'était important pour moi que ça arrive après le récit du viol pour que cette violence à nu continue à irradier, et puis la partie « POINTS », comme si les cartes se rebattaient, toutes les phrases se mélangent et les voix ne sont plus identifiées.

 

Poings est un espace mental, on est totalement dans la tête de la femme. Les personnages sont toi, moi et lui. Il s’agit d’elle, telle qu'elle se voit et telle qu’elle se ressent double, car elle est dissociée. Nous sommes dans sa sensibilité à elle. On fait ce détour par « POINTS » pour ensuite arriver à la partie « EST » qui est le moment où elle s'en va. C’est presque linéaire, mais c'est toujours accidenté par le fait qu'il y a très peu de repères temporels. On peut dire que l’on passe d'une partition à un récit, à une scène de théâtre très classique, puis à ce poème sonore où les corps disparaissent puisque les voix ne sont plus identifiées, puis à ce monologue à deux voix au moment du départ.

 

Comment avez-vous rencontré le collectif Das Plateau, et de quelle manière s’est déroulée votre collaboration avec la metteure en scène Céleste Germe ?

 

J’ai rencontré Das Plateau à l’occasion de leur mise en scène de l’un de mes textes, Bois impériaux. Ce texte avait été choisi par le comité de lecture du Théâtre POCHE / GVE, à Genève. Mathieu Bertholet, le directeur, a donné à lire Bois impériaux à Das Plateau pour un projet de mise en scène. Je suis venue les voir au moment où le collectif travaillait le décor mais la vraie rencontre a été le jour de la générale de Bois impériaux à Genève. Cette représentation a été un choc énorme pour moi parce que j'ai trouvé leur lecture et la façon de s’emparer du texte très puissante, très juste, très surprenante. C'était une pièce déjà sombre et Das Plateau a noirci le trait, mais avec beaucoup de délicatesse. C'est un texte qui m'inquiétait un peu pour ça, et là j'ai été vraiment éblouie et émue par ce que j'avais vu. J'ai croisé le regard de Céleste Germe en sortant de la salle, et il y a eu comme une reconnaissance à ce moment-là. C'était une soirée très singulière, tout le monde était très ému.

 

Quand Céleste Germe m'a dit qu'elle voulait mettre en scène Poings, j'étais très heureuse. Avec Céleste, on n'échange pas tellement sur la création, on s'en parle évidemment, je suis venue voir leurs essais de scénographie aux Subsistances à Lyon au mois de septembre. Puis elle m'a parlé de cette image, qui est dans le texte, de l'homme endormi, comme porte d’entrée à la création. Ce moment où l'homme est dans le lit en train de dormir et où elle ne dort pas. C'est peut-être le moment où elle peut partir et en même temps où elle n'ose pas. C'est le deuxième choc avec Das Plateau ! Les portes d'entrée qu'elles et ils ont dans les textes sont très précises.

« Je crois qu’avec Céleste Germe, on a les inconscients qui se parlent ! »

J’ai dit à Céleste Germe qu'elle prenait l'inconscient du texte. C'est le petit détail qui vient résonner dans l'ensemble et saisir l'essence du récit à un endroit très concret. C’est très puissant symboliquement. Je me rends compte que la question de la dissociation post-traumatique revient sans arrêt dans le texte et Céleste le met en images. Elle me le révèle. Je crois qu’avec Céleste Germe, on a les inconscients qui se parlent ! Puis, ce qui est très troublant dans le choix de Céleste, c’est la dernière image de la pièce, c'est lui allongé sur le lit. Il reste présent pour l'œil et c'est elle qui disparaît. C'est très paradoxal et ça vient raconter justement cette complexité-là. Ce n’est pas lui qui disparaît, c’est elle qui est prisonnière de cette prison mentale. Elle s’en va, mais il y a toute une part d’elle qui y est encore.

 

Comment appréhendez-vous ce travail de mise en scène de vos textes ?

 

Je n'ai pas forcément, même pas du tout de projets de mise en scène lorsque j'écris. Je considère que l'endroit de l'imaginaire et l'endroit de la réception d'un texte de théâtre est un endroit de lecture. C'est dans cet enjeu là que je travaille. Mais d'ailleurs, un·e metteur·e en scène qui découvre un texte est avant tout lecteur ou lectrice. C'est le premier rapport qu'elle ou il a au texte.

 

Pour moi, aboutir le geste littéraire, c'est le plus important. Moins j'anticipe le plateau, plus la forme est singulière. Après, je me dis très paresseusement que ce n’est pas mon métier ! Et jusqu'à présent, j'ai vraiment été gâtée. C'est toujours joyeux de découvrir et d'être surpris. Avec Das Plateau, j'ai vraiment de la chance. Ce qui me poserait problème, c'est si un·e metteur·e en scène ferait dire des choses au texte qu'il ne dit pas, ou avec lequel je serai en profond désaccord. Là, ça devient problématique.

« Je trouve que le rapport de Das Plateau à l'émotion est très juste pour ça, et sans être sentimental. »

Mais encore une fois le travail de Das Plateau rend totalement compte de la complexité du texte et de la situation. Ça ne résout rien, ça vient rajouter du symbole, d'autres éléments de lecture, ça transpose un peu le labyrinthe parce que je crois que ce sont des textes qui sont des enquêtes, qui posent des jalons dont on a les clés tardivement.

En tant que spectateur et spectatrice, leur mise en scène permet de s'approprier le texte et non pas seulement de le recevoir. C'est un mouvement que je recherche en écrivant aussi. Il faut une appropriation par la lecture, si on attend juste à recevoir, on passe à côté. Cela demande aussi un engagement émotionnel. Je trouve que le rapport de Das Plateau à l'émotion est très juste pour ça, et sans être sentimental. Il y a beaucoup de pudeur et de courage dans leur travail.

– TNB, février 2021

 

Le Magazine du TNB

Pauline Peyrade est l'auteure de Poings, texte mis en scène par Céleste Germe et le collectif Das Plateau, une création répétée en résidence au TNB en février 2021.

À PROPOS DE "POINGS"

ENTRETIEN AVEC PAULINE PEYRADE

Publié le 31/03/2021

Pauline Peyrade est l'auteure de Poings, texte mis en scène par Céleste Germe et le collectif Das Plateau, une création répétée en résidence au TNB en février 2021.

Quel est le point de départ de l'écriture de Poings ?

 

C’était dans le cadre du programme « Sujet à vif », en 2015, au festival d'Avignon, en collaboration avec la circassienne Justine Berthillot, avec qui on a créé une compagnie suite à cette rencontre. On ne se connaissait pas et pour « Sujet à vif » on a créé ensemble la première version de la partie « EST » (comme le point cardinal) qui est maintenant la fin du texte Poings.

« La rencontre avec Justine Berthillot a été déterminante, c'est un coup de cœur humain et artistique. »

Le texte décrivait la tentative de fuite d'une femme d'une relation toxique, tentative avortée puisqu'à la fin du texte elle faisait demi-tour et alors était décrite une des violences qu'elle subissait, le viol conjugal. Et puis le texte se terminait sur une nouvelle tentative de départ, comme une boucle qui recommence, pour raconter à quel point il est difficile de s'en aller, même du pire. La rencontre avec Justine Berthillot a été déterminante, c'est un coup de cœur humain et artistique. On a eu envie de poursuivre le travail ensemble, à partir de ce premier projet, en déployant cette histoire.

 

J'ai d'abord écrit le texte, puis nous l’avons adapté pour le théâtre, et le cirque puisque Justine est circassienne. À partir d'un point cardinal, « EST », on a décidé de déployer l'histoire avec les autres points cardinaux. Pendant longtemps, je me suis posée la question de cette forme qui s'imposait, qui paraissait problématique, mais qui avait du sens. Qu'est-ce que ça raconte un récit avec 5 formes différentes, alors que l’on suit une temporalité, et une même histoire ? Puis j'ai continué à travailler, et quand le motif, qui était là depuis le début, de la désorientation et de la perte de repères m'a sauté aux yeux, là j'ai pu finir en radicalisant davantage les ruptures formelles.

 

Pouvez-vous nous décrire la construction de ce texte, en 5 tableaux distincts ?

« Poings est un espace mental, on est totalement dans la tête de la femme. »

Poings est construit comme un polyptyque en 5 parties « OUEST », « NORD », « SUD », « POINTS » et « EST ». Chaque point cardinal correspond à un épisode clé de l'histoire. Il y a la rencontre, le viol conjugal, l'emprise psychologique et la manipulation, la toxicité très souterraine, et c'était important pour moi que ça arrive après le récit du viol pour que cette violence à nu continue à irradier, et puis la partie « POINTS », comme si les cartes se rebattaient, toutes les phrases se mélangent et les voix ne sont plus identifiées.

 

Poings est un espace mental, on est totalement dans la tête de la femme. Les personnages sont toi, moi et lui. Il s’agit d’elle, telle qu'elle se voit et telle qu’elle se ressent double, car elle est dissociée. Nous sommes dans sa sensibilité à elle. On fait ce détour par « POINTS » pour ensuite arriver à la partie « EST » qui est le moment où elle s'en va. C’est presque linéaire, mais c'est toujours accidenté par le fait qu'il y a très peu de repères temporels. On peut dire que l’on passe d'une partition à un récit, à une scène de théâtre très classique, puis à ce poème sonore où les corps disparaissent puisque les voix ne sont plus identifiées, puis à ce monologue à deux voix au moment du départ.

 

Comment avez-vous rencontré le collectif Das Plateau, et de quelle manière s’est déroulée votre collaboration avec la metteure en scène Céleste Germe ?

 

J’ai rencontré Das Plateau à l’occasion de leur mise en scène de l’un de mes textes, Bois impériaux. Ce texte avait été choisi par le comité de lecture du Théâtre POCHE / GVE, à Genève. Mathieu Bertholet, le directeur, a donné à lire Bois impériaux à Das Plateau pour un projet de mise en scène. Je suis venue les voir au moment où le collectif travaillait le décor mais la vraie rencontre a été le jour de la générale de Bois impériaux à Genève. Cette représentation a été un choc énorme pour moi parce que j'ai trouvé leur lecture et la façon de s’emparer du texte très puissante, très juste, très surprenante. C'était une pièce déjà sombre et Das Plateau a noirci le trait, mais avec beaucoup de délicatesse. C'est un texte qui m'inquiétait un peu pour ça, et là j'ai été vraiment éblouie et émue par ce que j'avais vu. J'ai croisé le regard de Céleste Germe en sortant de la salle, et il y a eu comme une reconnaissance à ce moment-là. C'était une soirée très singulière, tout le monde était très ému.

 

Quand Céleste Germe m'a dit qu'elle voulait mettre en scène Poings, j'étais très heureuse. Avec Céleste, on n'échange pas tellement sur la création, on s'en parle évidemment, je suis venue voir leurs essais de scénographie aux Subsistances à Lyon au mois de septembre. Puis elle m'a parlé de cette image, qui est dans le texte, de l'homme endormi, comme porte d’entrée à la création. Ce moment où l'homme est dans le lit en train de dormir et où elle ne dort pas. C'est peut-être le moment où elle peut partir et en même temps où elle n'ose pas. C'est le deuxième choc avec Das Plateau ! Les portes d'entrée qu'elles et ils ont dans les textes sont très précises.

« Je crois qu’avec Céleste Germe, on a les inconscients qui se parlent ! »

J’ai dit à Céleste Germe qu'elle prenait l'inconscient du texte. C'est le petit détail qui vient résonner dans l'ensemble et saisir l'essence du récit à un endroit très concret. C’est très puissant symboliquement. Je me rends compte que la question de la dissociation post-traumatique revient sans arrêt dans le texte et Céleste le met en images. Elle me le révèle. Je crois qu’avec Céleste Germe, on a les inconscients qui se parlent ! Puis, ce qui est très troublant dans le choix de Céleste, c’est la dernière image de la pièce, c'est lui allongé sur le lit. Il reste présent pour l'œil et c'est elle qui disparaît. C'est très paradoxal et ça vient raconter justement cette complexité-là. Ce n’est pas lui qui disparaît, c’est elle qui est prisonnière de cette prison mentale. Elle s’en va, mais il y a toute une part d’elle qui y est encore.

 

Comment appréhendez-vous ce travail de mise en scène de vos textes ?

 

Je n'ai pas forcément, même pas du tout de projets de mise en scène lorsque j'écris. Je considère que l'endroit de l'imaginaire et l'endroit de la réception d'un texte de théâtre est un endroit de lecture. C'est dans cet enjeu là que je travaille. Mais d'ailleurs, un·e metteur·e en scène qui découvre un texte est avant tout lecteur ou lectrice. C'est le premier rapport qu'elle ou il a au texte.

 

Pour moi, aboutir le geste littéraire, c'est le plus important. Moins j'anticipe le plateau, plus la forme est singulière. Après, je me dis très paresseusement que ce n’est pas mon métier ! Et jusqu'à présent, j'ai vraiment été gâtée. C'est toujours joyeux de découvrir et d'être surpris. Avec Das Plateau, j'ai vraiment de la chance. Ce qui me poserait problème, c'est si un·e metteur·e en scène ferait dire des choses au texte qu'il ne dit pas, ou avec lequel je serai en profond désaccord. Là, ça devient problématique.

« Je trouve que le rapport de Das Plateau à l'émotion est très juste pour ça, et sans être sentimental. »

Mais encore une fois le travail de Das Plateau rend totalement compte de la complexité du texte et de la situation. Ça ne résout rien, ça vient rajouter du symbole, d'autres éléments de lecture, ça transpose un peu le labyrinthe parce que je crois que ce sont des textes qui sont des enquêtes, qui posent des jalons dont on a les clés tardivement.

En tant que spectateur et spectatrice, leur mise en scène permet de s'approprier le texte et non pas seulement de le recevoir. C'est un mouvement que je recherche en écrivant aussi. Il faut une appropriation par la lecture, si on attend juste à recevoir, on passe à côté. Cela demande aussi un engagement émotionnel. Je trouve que le rapport de Das Plateau à l'émotion est très juste pour ça, et sans être sentimental. Il y a beaucoup de pudeur et de courage dans leur travail.

– TNB, février 2021

 

EN ÉCHO

Création

PAULINE PEYRADE / DAS PLATEAU

POINGS

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