Théâtre National de Bretagne
Direction Arthur Nauzyciel

Le Magazine du TNB Image retour sur la une

PAR MADELEINE LOUARN

À PROPOS DE "L'INSTRUCTION" DE PETER WEISS

Publié le 05/01/2023

 

L'Instruction est une création de Madeleine Louarn, artiste associée au TNB, pour le projet Une saison à l'École, monté avec la promotion 11. Ce spectacle est à découvrir au TNB de janvier à juin 2023.

En 1994, j’ai mis en scène une adaptation de Marat-Sade de Peter Weiss avec les comédiens, alors amateurs, de Catalyse. À cette occasion, j’avais aussi lu différents textes de Weiss dont L’Instruction. Cette pièce retrace les minutes du procès des bourreaux d’Auschwitz en 1963 à Fribourg. La Shoah, la mise à mort industrielle que le régime nazi a mise en œuvre, représente un évènement obsédant et décisif du fait de ses conséquences constitutives de notre monde contemporain. Et les questions soulevées ne cessent pour moi de se réactiver.

« Abandonner cette distance sublime au nom de laquelle l’univers des camps nous est incompréhensible : nous connaissons tous la société qui a pu produire ces camps » – L’instruction, Peter Weiss

Pour la première fois, l’occasion m’est offerte de travailler sur ce texte, de creuser encore le sujet. La fragilité de notre organisation humaine, de notre Europe issue directement de cette époque, nous saute à la gorge comme jamais. Et réveille un peu de l’effroi que nos parents, grands-parents, ont traversé. Cette pièce requiert de chacun d’entre nous (acteurs, spectateurs) une réflexion qui plonge aux origines de cette fragilité et de cet effroi. Mettre cela en jeu, avec de jeunes comédien·nes est encore plus essentiel. Reprendre au présent cette histoire, non pas seulement comme mémoire mais comme un acte de pensée.

 

Weiss, à partir de cette pièce, a théorisé et posé des jalons de ce qu’il a apelé le « théâtre documentaire ». C’est-à-dire de prendre des matériaux authentiques, ici les procès-verbaux, sans en modifier le contenu. Il s’agit pour l’auteur d’en réécrire la forme (car 22 mois de procès, plus de 200 témoins, ne sauraient se représenter in extenso). Et ce choix est politique, il s’agit de choisir le point de vue « d’où l’on parle ». Weiss choisi d’en faire un oratorio, dont la forme s’inspire des chants de La Divine comédie de Dante. Weiss insiste sur le fait qu’il s’agit en premier lieu d’une œuvre d’art :

« La scène du théâtre documentaire ne représente plus la réalité saisie dans l’instant mais l’image d’un morceau de réalité attachée au flux continu de la vie. »

 

« Nul ne témoigne pour le témoin » Paul Celan. Comment « jouer », dire ce texte ? Avec l’injonction de l’irreprésentabilité de l’horreur de la Shoah, il y a l’impossibilité « d’imiter » les témoins. Pourtant, comme Heiner Muller l’appelait de ses vœux, il faut écrire et jouer des spectacles qui ont le courage de regarder Histoire dans le blanc des yeux.

 

 

Représenter L’instruction est une épreuve, car la réalité est plus effrayante que tout ce que l’imagination peut espérer construire. Et c’est aussi une épreuve pour le spectateur. Dans épreuve il y a « éprouver » : tester quelque chose pour vérifier sa valeur, sa qualité, c’est aussi percevoir et ressentir, et aussi endurer. Il s’agit donc de choisir à quelle distance se mettre du sujet, du texte, dans quel angle.

 

Pour cela, plusieurs choses permettent de tester les possibles :

– L’interprète est une personne d’aujourd’hui qui endosse une parole qui n’est pas la sienne, il s’agit de défaire l’illusion qui pourrait faire croire à une identification.
– Chaque interprète endosse différents points de vue (rôles) en jouant alternativement soit un bourreau, un juge, un témoin. Une façon de chercher où se trouvent les écarts, comment creuser les différences.
– La diction est travaillée de façon non naturelle, pour déplacer la fluidité du texte, lui donner comme un accent d’une langue inconnue et faire surgir les reliefs de l’énoncé, réveiller les oreilles.
– Il ne s’agit pas de « jouer neutre », mais d’être agi par l’énoncé, traversé par le surgissement de ce qui est déposé. Laisser le plus possible le travail d’interprétation au spectateur sans pour autant s’abstraire de penser, de ressentir.
– S’appuyer sur la logique du texte, saisir la pensée et la reconstruction de Weiss et celle de la personne qui témoigne.

 

L’espace est conçu en 3 plans : l’espace des dépositions, celui des protagonistes, et puis celui du chœur. Le son sera aussi un élément permettant de jouer sur différents plans. Il y a dans cette « Instruction » quelque chose qui touche très directement aux problématiques de l’acteur : la question de l’incarnation, de la réalité, de la composition, et aussi de l’orientation de nos interprétations. Et surtout toutes les questions existentielles, politiques et philosophiques qui sont soulevées par l’histoire de la Shoah.

 

– Madeleine Louarn, décembre 2022

 

Le Magazine du TNB

 

L'Instruction est une création de Madeleine Louarn, artiste associée au TNB, pour le projet Une saison à l'École, monté avec la promotion 11. Ce spectacle est à découvrir au TNB de janvier à juin 2023.

PAR MADELEINE LOUARN

À PROPOS DE "L'INSTRUCTION" DE PETER WEISS

Publié le 05/01/2023

 

L'Instruction est une création de Madeleine Louarn, artiste associée au TNB, pour le projet Une saison à l'École, monté avec la promotion 11. Ce spectacle est à découvrir au TNB de janvier à juin 2023.

En 1994, j’ai mis en scène une adaptation de Marat-Sade de Peter Weiss avec les comédiens, alors amateurs, de Catalyse. À cette occasion, j’avais aussi lu différents textes de Weiss dont L’Instruction. Cette pièce retrace les minutes du procès des bourreaux d’Auschwitz en 1963 à Fribourg. La Shoah, la mise à mort industrielle que le régime nazi a mise en œuvre, représente un évènement obsédant et décisif du fait de ses conséquences constitutives de notre monde contemporain. Et les questions soulevées ne cessent pour moi de se réactiver.

« Abandonner cette distance sublime au nom de laquelle l’univers des camps nous est incompréhensible : nous connaissons tous la société qui a pu produire ces camps » – L’instruction, Peter Weiss

Pour la première fois, l’occasion m’est offerte de travailler sur ce texte, de creuser encore le sujet. La fragilité de notre organisation humaine, de notre Europe issue directement de cette époque, nous saute à la gorge comme jamais. Et réveille un peu de l’effroi que nos parents, grands-parents, ont traversé. Cette pièce requiert de chacun d’entre nous (acteurs, spectateurs) une réflexion qui plonge aux origines de cette fragilité et de cet effroi. Mettre cela en jeu, avec de jeunes comédien·nes est encore plus essentiel. Reprendre au présent cette histoire, non pas seulement comme mémoire mais comme un acte de pensée.

 

Weiss, à partir de cette pièce, a théorisé et posé des jalons de ce qu’il a apelé le « théâtre documentaire ». C’est-à-dire de prendre des matériaux authentiques, ici les procès-verbaux, sans en modifier le contenu. Il s’agit pour l’auteur d’en réécrire la forme (car 22 mois de procès, plus de 200 témoins, ne sauraient se représenter in extenso). Et ce choix est politique, il s’agit de choisir le point de vue « d’où l’on parle ». Weiss choisi d’en faire un oratorio, dont la forme s’inspire des chants de La Divine comédie de Dante. Weiss insiste sur le fait qu’il s’agit en premier lieu d’une œuvre d’art :

« La scène du théâtre documentaire ne représente plus la réalité saisie dans l’instant mais l’image d’un morceau de réalité attachée au flux continu de la vie. »

 

« Nul ne témoigne pour le témoin » Paul Celan. Comment « jouer », dire ce texte ? Avec l’injonction de l’irreprésentabilité de l’horreur de la Shoah, il y a l’impossibilité « d’imiter » les témoins. Pourtant, comme Heiner Muller l’appelait de ses vœux, il faut écrire et jouer des spectacles qui ont le courage de regarder Histoire dans le blanc des yeux.

 

 

Représenter L’instruction est une épreuve, car la réalité est plus effrayante que tout ce que l’imagination peut espérer construire. Et c’est aussi une épreuve pour le spectateur. Dans épreuve il y a « éprouver » : tester quelque chose pour vérifier sa valeur, sa qualité, c’est aussi percevoir et ressentir, et aussi endurer. Il s’agit donc de choisir à quelle distance se mettre du sujet, du texte, dans quel angle.

 

Pour cela, plusieurs choses permettent de tester les possibles :

– L’interprète est une personne d’aujourd’hui qui endosse une parole qui n’est pas la sienne, il s’agit de défaire l’illusion qui pourrait faire croire à une identification.
– Chaque interprète endosse différents points de vue (rôles) en jouant alternativement soit un bourreau, un juge, un témoin. Une façon de chercher où se trouvent les écarts, comment creuser les différences.
– La diction est travaillée de façon non naturelle, pour déplacer la fluidité du texte, lui donner comme un accent d’une langue inconnue et faire surgir les reliefs de l’énoncé, réveiller les oreilles.
– Il ne s’agit pas de « jouer neutre », mais d’être agi par l’énoncé, traversé par le surgissement de ce qui est déposé. Laisser le plus possible le travail d’interprétation au spectateur sans pour autant s’abstraire de penser, de ressentir.
– S’appuyer sur la logique du texte, saisir la pensée et la reconstruction de Weiss et celle de la personne qui témoigne.

 

L’espace est conçu en 3 plans : l’espace des dépositions, celui des protagonistes, et puis celui du chœur. Le son sera aussi un élément permettant de jouer sur différents plans. Il y a dans cette « Instruction » quelque chose qui touche très directement aux problématiques de l’acteur : la question de l’incarnation, de la réalité, de la composition, et aussi de l’orientation de nos interprétations. Et surtout toutes les questions existentielles, politiques et philosophiques qui sont soulevées par l’histoire de la Shoah.

 

– Madeleine Louarn, décembre 2022

 

EN ÉCHO

artiste associée

PETER WEISS / MADELEINE LOUARN

L'INSTRUCTION

1963, procès de Francfort, les responsables d'Auschwitz sont pour la 1re fois mis en accusation par la justice allemande. Peter Weiss est présent, ras...
Lire la suite

METTEURE EN SCENE

MADELEINE LOUARN

Sous son impulsion, la troupe d’amateur·rices devient permanente et professionnelle. Voici 30 ans que cette bretonne, qui dirigea le Théâtre de l’Entr...
Lire la suite

PROMOTION 11 / PATRICIA ALLIO / LUDOVIC LAGARDE / MADELEINE LOUARN / GUILLAUME VINCENT

UNE SAISON À L'ÉCOLE

À la suite d’une conversation avec Vincent Macaigne sur les problématiques rencontrées par les jeunes acteurs et actrices sortant des écoles, Arthur N...
Lire la suite